La goutte d'eau tremble et frémit
au bout du roseau
jailli rouge et tendu
surfaces odorantes
La feuille apprêtée n'est pas tout à fait prête
à recevoir cette tension extrême
Elle se plaint et s'entrouvre
nénuphar conciliant
puis haletant
laisse passer l'herbe familière
et ses trains de lumière
Poussière
Quand le soleil a une poussière
dans l’œil
il pleure
quelques rayons tout noirs
qui donnent sur la terre
les méchancetés du soir
Vélo-voilé
La roue de mon vélo
Est voilée
Mon papa va
La réparer
Le soleil d’hiver
Est voilé
Le printemps va
Le réparer.
La terre est fâchée
La terre en a gros sur la patate
D’être maltraitée
Comme une vieille savate.
Elle pleure à chaudes larmes
Des pluies torrentielles
Qui noient son chagrin
Et beaucoup d’humains.
De colère
Elle lance des éclairs
Crache son feu d’enfer
Gonfle ses joues d’océan
Et au comble de la rage
Envoie des raz-de-marée
Sur les plages.
LE DÉDOUBLEMENT
Extrait 2
Curieux. Je ne me vois plus parler.
Dans ma classe, ce matin, j’ai essayé de me dédoubler afin de me trouver ridicule. Je ne me suis pas trouvé ridicule, je ne suis même pas sorti de moi. Je faisais corps avec mon personnage. J’étais lui. Je vieillis.
Je trouvais très normal de parler à cet instant et dire ce que je disais. Cela ne m’étonnait pas. Je me détache de ce que je voulais être. Je n’y crois plus. Je m’accepte.
Mais aussi je faisais de la provocation et de la surenchère, du défi : je jouais à me montrer que je ne m’étonnais pas. J’insistais. Cela m’intéressait et m’étonnait : je regardais celui qui n’était pas étonné et cela m’amusait de le voir ainsi.
…
Une ou deux
La lune se mire dans le lac
On voit deux lunes
en même temps
Vraie dans le ciel
Reflet dans l'eau
L'une ne va pas
sans l'autre
Nuage
À tout âge
le nuage
est nu
Quand il a trop
couru
il est en nage
il sue
Bambous et bambins
Le soleil et la pluie
Font pousser les bambous
Mon père et ma mère
Font souper les bambins
Chacun son boulot
La lune
À cheval sur la lune
j'ai vu le soleil
la nuit
Pendant que dans ton lit
tu rêvais des étoiles
LE DÉDOUBLEMENT
Extrait 3
Comme comédien, quand j’entre sur scène, je suis tellement horrifié par les regards des spectateurs avides et convergents vers moi que je me dis ; que fais-tu là ? Pourquoi te mettre dans une situation pareille, tu n’étais pas contraint !
Pourtant il faut commencer… je me pousse à parler, à jouer… et c’est parti.
Je me vois dans l’action, à côté de moi, et me mets à jouir du plaisir que je donne au spectateur, plaisir qui devient mien. Alors je me confonds avec moi-même pour en profiter pleinement, je ne fais plus qu’un, un heureux !
LE DÉDOUBLEMENT
Extrait 1
La première fois que je me suis trouvé face à une classe, j’ai été pétrifié d’angoisse, incapable de prononcer un mot. J’étais figé, et je savais que j’étais figé. Le temps s’écoulait, impitoyable.
Peu à peu, j’ai pu agir devant les élèves. Au début, j’en étais surpris : je me dédoublais, je me voyais en train de parler, de bouger, et je m’en étonnais. Quoi, c’était moi ce jeune homme qui commandait à cette assemblée d’enfants !
Plus tard, professeur, j’ai perdu peu à peu cette impression de dédoublement que j’éprouvais dans mes débuts de « seul en scène » et je le regrettais presque :
…
Mon double
J'ai un double. Nous avons chacun notre vie et nous retrouvons
la nuit pour parler de notre cheminement.
Le jour, nous risquons peu de nous rencontrer car nous vivons
dans deux univers presque parallèles. Une fois seulement, j'ai
aperçu mon double. Dans une rue d'Istanbul. J'ai été sidéré,
suis resté figé. Il était sur le pont près des mosquées, regardant
le Bosphore. Je ne voulais pas lui parler, je me suis sauvé car
il était indécent que nous ayons un contact sous la lumière du
soleil.
La nuit, enfin, nous ouvre les bras.