Citations de Guy Féquant (32)
"Chez nous, le temps qui passe se soumet au temps qu'il fait; chez vous, c'est l'inverse"
Été enfin. Journée tiède, odorante, d’une blondeur d’avoine. Vues du gué de la rivière, les pentes arides des Hauts resplendissent comme des névés. Au jardin, le prunier de Sainte-Lucie produit en abondance ses petits fruits noirs dont se régalent les fauvettes. Le gobe-mouches gris a choisi le robinet d’arrosage comme perchoir. Les petites hirondelles de la remise à bois ont survécu. Alignées au bord du nid désormais trop exigu, elles vont prendre leur envol d’un jour l’autre.
…
L’après-midi, sur les chemins poudreux des Hauts, je ne voyais plus ni les traquets ni les alouettes. Je marchais sous le ciel pommelé, une amère centaurée à la bouche. L’allégresse allongeait mon pas. Je me répétais la phrase magique, poème immense en six mots :
L’aigle pêcheur est de retour.
L’ennui naît d’abord de la crispation sur soi. Ce que les bouddhistes appellent la vacuité, ce n’est pas le néant. C’est l’ouverture et le miroitement infini des choses : une fleur, un oiseau, un nuage, une éclaircie, une larme, un sourire. Je m’efforce de cheminer dans cette vacuité. (p. 130)
En hiver, l'aube n'existe pas. On passe sans transition de la nuit d'anthracite à la forge rouge de l'aurore.
Je me méfie des gens, écrivains ou non, qui portent leur terroir comme l'armure et l'oriflamme.
Ses mémoires [Valentin Jamerey-Duval] mériteraient une diffusion plus large. A son éditeur, voici ce qu’il confiait, dans cette merveilleuse prose du Siècle des Lumières qui est comme de la porcelaine fine par rapport au tout-venant contemporain : « Les forêts où j’ai vécu jusqu’à ma vingt-deuxième année m’ont rendu sauvage ; j’en suis devenu incapable de fléchir sous l’empire des formes et des modes ; ayant remarqué de bonne heure en entrant dans le monde et en vivant dans les coins, que sous le vernis des politesses, les hommes se supplantent souvent l’un l’autre, je n’ai jamais voulu me mouler d’après des dehors aussi trompeurs mais conserver mon propre pli à moi ». (p. 128-129)
On dit toujours qu’on n’a qu’une vie ; on n’a surtout qu’une jeunesse. (p. 141)
La fin d’un voyage n’est pas la fin de tout mais c’est la fin d’un tout. (p. 186)
Je jouais au moine zen. Je m’efforçais de penser le monde au ras de l’herbe de la pelouse.
Les choses ont alors l’étrange force de leur présence et, en même temps, l’étrange grelot de leur néant. (p. 180)
Plaine immense, chamoisée par le soleil d’hiver. (p. 170)
Et puis ce bon silence frais, au parfum d’humus, qui montait du sous-bois. (p. 165)
Je ne marche plus guère dans mon pays. C’est un genre que j’ai pourtant beaucoup pratiqué. Mais avec l’âge vient la tragique lassitude des choses trop vues. Je filtre mes nostalgies et je ne cultive plus que celles qui ont un goût de demain… (p. 149)
Dernière journée en Crète. […] Les odeurs poussiéreuses et balsamiques, entre les massifs de bambous, évoquent les jardins tropicaux. Je repense à l’île Bourbon et je n’entends plus les merles européens mais les petites tourterelles malgaches, au roucoulement si doux. Ainsi les jardins tissent-ils en moi leurs réminiscences propres comme les oasis au long des pistes caravanières. (p. 140-141)
Se laisser envahir par ce bien-être solaire… S’offrir aux couleurs, aux odeurs, au miroitement de l’eau… (p. 140)
Le vert sombre des cèdres crétois forme un contraste étonnant avec des pans verticaux de calcaire blanc et des puits de lumière où la roche, sous l’effet des oxydes, prend des teintes d’un roux orangé. Saturation du regard : une sorte d’ivresse. (p. 138)
[…] du cimetière où j’aimerais reposer : une pelouse, de beaux arbres, une discrète épitaphe. Mais surtout pas de marbre ! Les cimetières communs me font horreur… Je veux un long déjeuner sous l’herbe. Et puis peut-être la belle sentence du moine zen Urabe Kenko : « L’homme est l’âme de l’Univers et l’Univers est infini ». (p. 131)
Dans l’art porté à son niveau d’excellence, il y a toujours une spiritualité cachée. (p. 130)
Tout vrai voyage est une entreprise heureuse de diminution de soi. (p. 117)
Quand les mélèzes jaunissent à l’arrière-saison, le promeneur, à chaque pas, y fait provision d’or. On ne se lasse pas de Bessans : on pourrait y vivre trois vies et moi, hélas, j’y reste deux jours ! (p. 113)
Les montagnes ont ce pouvoir étonnant de nous alléger, de nous rasséréner, de faire de nous, à l’improviste, des méditants modestes et souverains. (p. 110)