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Citation de AMR_La_Pirate


EXTRAITS DES LETTRES DE LOUISE :

Par un retour subit sur moi-même, un matin où j'étais plus pleinement heureuse, j'ai songé à ma Renée et à son mariage de convenance, et j'ai deviné ta vie, je l'ai pénétrée ! O mon ange, pourquoi parlons-nous une langue différente ? Ton mariage purement social, et mon mariage qui n'est qu'un amour heureux, sont deux mondes qui ne peuvent pas plus se comprendre que le fini ne peut comprendre l'infini. Tu restes sur la terre, je suis dans le ciel ! Tu es dans la sphère humaine, et je suis dans la sphère divine. Je règne par l'amour, tu règnes par le calcul et par le devoir. Je suis si haut que s'il y avait une chute je serais brisée en mille miettes. Enfin, je dois me taire, car j'ai honte de te peindre l'éclat, la richesse, les pimpantes joies d'un pareil printemps d'amour.
[…]
Une femme sans enfants est une monstruosité ; nous ne sommes faites que pour être mères. Oh ! Docteur en corset que tu es, tu as bien vu la vie. La stérilité d'ailleurs est horrible en toute chose.
[…]
Je l'ai tué par mes exigences, par mes jalousies hors de propos, par mes continuelles tracasseries. Mon amour était d'autant plus terrible que nous avions une exquise et même sensibilité, nous parlions le même langage, il comprenait admirablement tout, et souvent ma plaisanterie allait, sans que je m'en doutasse, au fond de son coeur. Tu ne saurais imaginer jusqu'où ce cher esclave poussait l'obéissance : je lui disais parfois de s'en aller et de me laisser seule, il sortait sans discuter une fantaisie de laquelle peut-être il souffrait.
[…]
Ce que toutes les femmes demandent aujourd'hui à l'amour, le mariage me le donne. Je sens en moi pour Gaston l'adoration que j'inspirais à mon pauvre Felipe ! Je ne suis pas maîtresse de moi, je tremble devant cet enfant comme l'Abencerrage tremblait devant moi. Enfin, j'aime plus que je ne suis aimée ; j'ai peur de toute chose, j'ai les frayeurs les plus ridicules, j'ai peur d'être quittée, je tremble d'être vieille et laide quand Gaston sera toujours jeune et beau, je tremble de ne pas lui plaire assez ! Cependant je crois posséder les facultés, le dévouement, l'esprit nécessaires pour, non pas entretenir, mais faire croître cet amour loin du monde et dans la solitude. Si j'échouais, si le magnifique poème de cet amour secret devait avoir une fin, que dis-je une fin ! Si Gaston m'aimait un jour moins que la veille, si je m'en aperçois, Renée, sache-le, ce n'est pas à lui, mais à moi que je m'en prendrai. Ce ne sera pas sa faute, ce sera la mienne. Je me connais, je suis plus amante que mère. Aussi te le dis-je d'avance, je mourrais quand même j'aurais des enfants.
[…]
J'ai treize ans à être jolie femme, je veux être aimée le dernier jour de la treizième année encore mieux que je ne le serai le lendemain de mes noces mystérieuses. Cette fois, je serai toujours humble, toujours reconnaissante, sans parole caustique ; et je me fais servante, puisque le commandement m'a perdue une première fois.
[…]
Je suis toujours sa maîtresse, c'est-à-dire que je parais aimer moins que je ne suis aimée. Cette tromperie est délicieuse. Il y a tant de charme pour nous autres femmes à voir le sentiment l'emporter sur le désir, à voir le maître encore timide s'arrêter là où nous souhaitons qu'il reste !
[…]
J'ai vu clair : je suis perdue. Oui, Renée, à trente ans, dans toute la gloire de la beauté, riche des ressources de mon esprit, parée des séductions de la toilette, toujours fraîche, élégante, je suis trahie, et pour qui ? Pour une Anglaise qui a de gros pieds, de gros os, une grosse poitrine, quelque vache britannique. Je n'en puis plus douter. Voici ce qui m'est arrivé dans ces derniers jours.
[…]
Elle lui a donné des enfants : tout s'explique. Cette Anglaise est une espèce de statue grecque descendue de quelque monument ; elle a la blancheur et la froideur du marbre, elle marche solennellement en mère heureuse ; elle est belle, il faut en convenir, mais c'est lourd comme un vaisseau de guerre. Elle n'a rien de fin ni de distingué : certes, elle n'est pas lady, c'est la fille de quelque fermier d'un méchant village dans un lointain comté, ou la onzième fille de quelque pauvre ministre. Je suis revenue de Paris mourante.
[…]
Mon cher docteur en corset a raison : le mariage ne saurait avoir pour base la passion, ni même l'amour. Ta vie est une belle et noble vie, tu as marché dans ta voie, aimant toujours de plus en plus ton Louis ; tandis qu'en commençant la vie conjugale par une ardeur extrême, elle ne peut que décroître. J'ai eu deux fois tort, et deux fois la Mort sera venue souffleter mon bonheur de sa main décharnée. Elle m'a enlevé le plus noble et le plus dévoué des hommes ; aujourd'hui, la camarde m'enlève au plus beau, au plus charmant, au plus poétique époux du monde.
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