Citations de J-D Labranche (12)
Jacob n’aimait pas qu’on lui dise du bien des gens comme pour justifier qu’ils seraient incapables de faire du mal. Il avait vu trop de choses. Trop de ces gens bien commettrent des crimes horribles. Il disait qu’il n’y avait pas de visage innocent excepté chez les enfants. Et encore. C’était la vision qu’il avait du monde. Manuel ne voyait pas les choses de la même façon ou plutôt il ne voulait pas voir les choses de cette façon.
On en avait déjà parlé. Ça se voyait comme le nez au milieu du visage mais elle ne voulait pas lui faire du mal et elle pensait que ça passerait. Elle m’a dit qu’elle allait arrêter de le voir pour un moment. Vous savez, le temps qu’il passe à autre chose.
Kim replaça une mèche rebelle qui était tombée sur ses lunettes. Ses jambes étaient croisées et elle avait placé ses mains entre ses cuisses comme pour les réchauffer ou bien pour les empêcher de bouger. Son visage était pâle. Jacob l‘observa. Il ne la trouvait pas jolie et il se dit que les belles filles avaient toujours une amie qui ne l’était pas. En l’examinant il vit de l’angoisse dans son visage et il se sentit coupable d’avoir eu cette pensée.
Cette tempête n’était qu’une tempête. Un papillon qui bat des ailes au Japon ou quelque chose comme ça. Des milliards de dominos qui tombent les uns sur les autres, c’est tout.
Et ces dominos, qui les a placés dans cet ordre ? pensa Manuel. Et qui a poussé le premier ? Mais il ne dit rien, car il n’avait pas envie de revivre la même conversation qu’ils avaient eue un peu plus tôt.
Chaque fois il se disait qu’une partie de lui se détachait de son âme et qu’il devenait de plus en plus vide et de plus en plus fragile et qu’un jour il tomberait et qu’il se briserait en mille morceaux. Cette fois il ne s’était pas brisé et il s’était relevé.
Les enfants qui se font abuser et qui se font tuer ou bien qui se font vendre comme du bétail pour se faire violer à répétitions jusqu’à ce qu’ils se soient plus que des corps sans âmes ? Ces enfants-là ils n’ont pas le choix. Ils n’ont même pas la chance d’avoir le choix. Qu’est-ce qu’ils sont ces enfants dans ce test ?
Pour une raison étrange le goût du tabac dans sa bouche le dégoûta et il jeta sa cigarette par la fenêtre en se disant que c’était la dernière qu’il fumerait. Il y avait toujours une cigarette dans le paquet qui lui faisait cet effet. Maintenant j’arrête, pensait-il, toujours avec la conviction mécanique.
Les gens pensent que c’est un monstre à cause de son apparence, mais il est doux comme un agneau. Avant l’accident il était déjà réservé, mais depuis il ne parle presque plus et je crois qu’il ne sort plus jamais de chez lui excepté pour se rendre au travail.
Ma sœur a fugué quand elle avait treize ans, dit-il. Elle est partie je ne sais pas où avec son copain. Il avait dix-huit ans. C’était dans les journaux à l’époque et à l’école les autres me posaient toutes sortes de questions. Tu crois qu’elle est morte ? Tu crois qu’il l’a violée et qu’il l’a tuée et qu’il l’a découpée en morceaux ? Moi je riais devant les autres et je faisais comme si ça ne me faisait rien mais en réalité j’étais terrifié. Après trois jours elle est revenue à la maison et elle n’a jamais expliqué pourquoi elle était partie ni pourquoi elle était revenue.
Il y en a qui appelle ça l’instinct. Comme s’il y avait des anges de la vérité qui se promenaient tout autour de nous et qui nous soufflaient parfois des secrets dans les oreilles. Ces anges, il y en a qui peuvent les entendre et il y en a qui ne peuvent pas. Jacob, lui, il les entend. C’est ça. C’est ça ou bien c’est le type le plus chanceux du monde.
Affable. Bien élevé. Toujours souriant. Le genre à défendre les plus faibles. Celui à qui l’on peut se fier. Celui qui vous aide quand vous en avez besoin. Celui que toutes les filles veulent avoir comme petit copain et que tous les gars veulent avoir comme meilleur ami. Manuel avait écouté son ami lui parler de Jacob comme s’il lui avait parlé d’un étranger et il avait pensé : j’aimerais bien le rencontrer ce type.
Jacob regarda par la fenêtre qui donnait sur la rue et il vit deux garçons armés de bâtons qui s’amusaient à terroriser un chien errant. Le chien restait là comme s’il se demandait si c’était un jeu et les garçons criaient pour lui faire peur et ensuite ils riaient aux éclats. Jacob plissa les yeux pour mieux les regarder. Chaque fois qu’il voyait des gens faire quelque chose de mal il regardait toujours leurs visages comme s’il cherchait à trouver cette chose mystérieuse qui n’existe pas chez les autres. Quelque chose dans leurs yeux.