11/01/2018
Dans votre nouveau livre, Entre deux mondes, vous faites le choix d`abandonner (momentanément ?) votre personnage fétiche, le capitaine Coste. Une envie particulière ? Une volonté de ne pas vous enliser derrière ce personnage ?
C`est vrai que c`était un risque de quitter un personnage qui avait déjà ses lecteurs. Mais il y avait aussi un risque de lasser ou de faire l`épisode de trop. Je laisse donc le capitaine Coste se reposer un peu pour encore un ou deux romans et j`attends surtout le moteur de sa nouvelle enquête, car outre l`intrigue policière, j`ai du mal à démarrer sans un moteur social. Dans Code 93, c`était les trafics des chiffres de la criminalité sur le 93. Dans Territoires, les collusions entre délinquants et politiques. Enfin dans Surtensions, j`abordais l`état de nos prisons et de la Justice. J`ignore encore ce qui donnera envie à Coste de rechausser son flingue.
Après avoir obtenu le Prix du polar européen le Point en 2016 pour Surtensions, votre précédent ouvrage, appréhendiez-vous cette attente qui accompagne désormais vos nouveaux ouvrages ?
Évidemment. Toutefois, cette appréhension, je l`ai eue dès le deuxième roman. Ce n`est pas une histoire de prix, c`est une question de dépendance aux lecteurs. Quand une seule fois dans votre vie vous avez créé un univers et des personnages et que ceux si ont été appréciés… Quand vous recevez les félicitations des lecteurs et un peu de leur affection, vous devenez « accro », « addict ». Il me faut ma dose et pour l`avoir, il faut écrire de bons bouquins, tout du moins, des bouquins qui plaisent.
L`action de votre dernier livre se situe essentiellement dans la Jungle de Calais. On sait que, dans votre vie, vous avez travaillé plusieurs années dans l`humanitaire avant de devenir lieutenant de police dans le 93. Est-ce que Entre deux mondes doit aussi être lu comme un écho à toutes vos expériences personnelles ?
J`ai du mal à croire qu`un auteur puisse écrire sur des sujets sociaux qui lui sont absolument inconnus. Si j`écris sur les flics, c`est que j`ai été flic et que j`en connais les règles et les codes. Si j`écris sur la Jungle de Calais, c`est probablement parce que les camps de réfugiés ou de populations déplacées ne me sont pas étrangers. Le lecteur est devenu critique, flic, juge et journaliste… si vous abordez un sujet, partez du principe qu`il en connaît un rayon !
Vous vous penchez sur la vie de ces migrants qui arrivent en France dans des conditions atroces en vue de rejoindre la Grande-Bretagne. Comment est venu ce choix, qu`est-ce qui vous a décidé à écrire sur ce thème ?
Tout simplement parce que leur trajet est celui qu`a déjà fait mon grand père il y a deux générations de cela. Il y a encore 80 ans, les Norek étaient des polonais, puis il y a eu la guerre et ils ont du fuir. Aujourd`hui, l`histoire se répète. Autour du globe, des guerres éclatent et les populations tentent de sauver leur peau. Nous, nous les accueillons dans des camps, sans eau chaude ni sécurité, comme s`ils étaient dangereux ou nocifs, oubliant leur humanité. Oubliant qu`ils sont nos frères et que nous avons fait exactement comme eux lorsque la France a été touchée par l`invasion nazie.
Comment faites-vous, dans l`écriture de vos romans, pour séparer la réalité vécue en tant que policier et la fiction dans laquelle plonge l`auteur de thrillers ? Quelle est la part de réel à laquelle on doit s`attendre dans vos romans ?
Ne cherchez pas trop d`imagination dans mes romans. D`accord, les enquêtes que vous allez lire n`existent pas, mais elles sont composées d`un maillage de faits divers et d`anecdotes qui eux, sont bien réels. Ce sont donc des romans où tout est vrai.
Vous vous distinguez par une écriture forte, brutale, des phrases courtes et percutantes, et Entre deux mondes n`échappe pas à la règle. Comment vous est venu ce style ? Est-ce le fruit d`un long travail en plusieurs étapes ou le résultat direct de ce que vous avez envie de dire, d`écrire, de dénoncer ?
Je ne me suis jamais demandé quel style j`allais adopter. J`ai juste laissé filé ma plume. Je ne triche pas, je raconte comme je ressens, comme je le vis. Dès lors, c`est parfois assez viscéral, assez animal, d`où cet effet un peu brut, ou parfois incisif.
Vous avez participé à l`écriture du scénario de la saison 6 de la série Engrenages. Un exercice vraiment différent de l`écriture d`un livre ?
Le scénario, c`est laisser à un autre une partie de l`ambiance générale. Je m`explique. Dans un roman, vous gérez tout. La lumière, les acteurs, les décors et l`histoire. Dans un scénario, vous n`avez plus que l`histoire et les dialogues en main, le reste est accaparé par le réalisateur ou le chef opérateur. C`est une histoire de confiance.
Quel est le livre qui vous a donné envie d`écrire ?
Les racines du mal de Maurice G. Dantec.
Quel est l`auteur qui vous a donné envie d`arrêter d`écrire (par ses qualités exceptionnelles...) ?
Stephen King. Ou l`art d`emporter son lecteur sans trop en faire.
Quelle est votre première grande découverte littéraire ?
Le Cygne de Roald Dahl.
Quel est le livre que vous avez relu le plus souvent ?
Je ne relis jamais de livres… trop sont en attente d`une première lecture !
Quel est le livre que vous avez honte de ne pas avoir lu ?
Pas vraiment un livre mais plutôt TOUS ses livres… et oui, j`ai honte. Agatha Christie.
Quelle est la perle méconnue que vous souhaiteriez faire découvrir à nos lecteurs?
Hugo Boris et son livre Police.
Quel est le classique de la littérature dont vous trouvez la réputation surfaite ?
Ce n`est pas que sa réputation est surfaite, c`est juste que je ne suis probablement pas assez fin pour le comprendre ou aimer le lire : La Condition Humaine de Malraux.
Avez-vous une citation fétiche issue de la littérature ?
« L`enfer, c`est les autres ». Sartre, dans Huis Clos. Et bordel que c`est vrai.
Et en ce moment que lisez-vous ?
7/13 de Jacques Saussey… et c`est bon !
Découvrez
Entre deux mondes d`
Olivier Norek aux éditions
Michel Lafon :

Interview réalisé par Rémy Watremez
Avez-vous déjà réfléchi à la fonction du visage ? Avez-vous compris qu'il est le reflet de tous vos sentiments ? On y lit le chagrin, la joie, les peurs, les interrogations, la douleur comme la jouissance. Il parle, avant même les mots.
- […] Les migrants fuient un pays en guerre vers lequel on ne peut décemment pas les renvoyer, mais de l’autre côté, on les empêche d’aller là où ils veulent. C’est une situation de blocage, on va dire. […] Vous croyez aux fantômes, Passaro ?
- Je ne me suis jamais posé la question. Vous parlez des esprits qui hantent les maisons ?
- Exact. Coincés entre la vie terrestre et la vie céleste. Comme bloqués entre deux mondes. Ils me font penser à eux, oui. Des âmes, entre deux mondes…
– Il paraît qu’au bout de quelques années d’expérience, les flics réussissent à repérer la vérité du mensonge.
– Non. C’est à force d’entendre des mensonges que la vérité sonne différemment, c’est tout.
Coste plissa les yeux. Il y a trois types d'utilisation du français. Le français entre amis, celui avec les insultes en guise de ponctuadon. Le français en famille, un peu plus riche. Enfin, le français utilisé en milieu professionnel, plus châtié et codifié. Maîtriser les trois dans le 93, c'est déjà être polyglotte. Mais le pauvre Colin semblait n'en connaître qu'un, celui avec les insultes. Même si le gamin faisait bien des efforts aujourd'hui, Coste s'attendait malgré tout à saigner des oreilles d'ici une phase ou deux.
Vous savez, j'ai toujours classé les infractions en deux mobiles. L'argent et le sexe. Vous m'avez ouvert l'esprit. Il n'y a jamais qu'un seul mobile, celui du pouvoir.
L'enfer reste toujours le regard que les autres portent sur nous. Comme un jugement. Le regard qui nous examine, celui qui nous empêche d'oser, celui qui nous freine, celui qui nous peine, celui qui nous fait nous aimer ou nous détester.
– Quand certains maires du 93 veulent assurer leur réélection, que font-ils ? Ils paient. Beaucoup, même. Ils arrosent largement les caïds de cité pour qu’ils se tiennent calmes les quelques mois qui précèdent le passage aux urnes, histoire de faire baisser de manière factice la délinquance et de faire croire qu’ils tiennent leur commune dans un gant de fer.
– C’est une rumeur.
– Que j’ai entendue, que vous avez entendue, que beaucoup d’autres connaissent. Je ne crois pas aux fumées sans feu.
[...] On commence par les tours nord et on fera retour par les sud.
- Tu te la joues pisteur indien? C'est où, le nord?
- Lève les yeux et cherche les paraboles sur les fenêtres, elles sont toutes dirigées vers le sud, c'est une constante. Maintenant que tu sais où est le sud, ça va aller pour trouver le nord?
- A tes ordres, Pocahontas.
Des bruits de pas l’alertèrent. Il aurait pu, comme dans les films, faire semblant d’être encore groggy pour attaquer son adversaire au moment où il s’y attendrait le moins, ou encore se ressaisir et faire face de manière à déstabiliser celui qui l’avait attaché là. Il aurait pu faire comme dans un film, mais voilà… au premier bruit de pas entendu, il chiala bruyamment en se pissant dessus.
– La Crime Paris est une vieille dame qui fête ses cent ans alors que le SDPJ 93 est une jeune demoiselle qui n’en a que trente. On se tape une moyenne annuelle de quatre-vingt-dix procédures d’homicides et tentatives d’homicide pour vingt fonctionnaires. Chez la vieille Parisienne, ils reçoivent une moyenne de quarante-cinq dossiers, deux fois moins que nous, pour cinquante-cinq flics qui la composent, soit trois fois plus d’enquêteurs, tu vois le déséquilibre et tu comprends pourquoi ils se tapent un taux d’élucidation record.