Ma sœur a fugué quand elle avait treize ans, dit-il. Elle est partie je ne sais pas où avec son copain. Il avait dix-huit ans. C’était dans les journaux à l’époque et à l’école les autres me posaient toutes sortes de questions. Tu crois qu’elle est morte ? Tu crois qu’il l’a violée et qu’il l’a tuée et qu’il l’a découpée en morceaux ? Moi je riais devant les autres et je faisais comme si ça ne me faisait rien mais en réalité j’étais terrifié. Après trois jours elle est revenue à la maison et elle n’a jamais expliqué pourquoi elle était partie ni pourquoi elle était revenue.
Jacob regarda par la fenêtre qui donnait sur la rue et il vit deux garçons armés de bâtons qui s’amusaient à terroriser un chien errant. Le chien restait là comme s’il se demandait si c’était un jeu et les garçons criaient pour lui faire peur et ensuite ils riaient aux éclats. Jacob plissa les yeux pour mieux les regarder. Chaque fois qu’il voyait des gens faire quelque chose de mal il regardait toujours leurs visages comme s’il cherchait à trouver cette chose mystérieuse qui n’existe pas chez les autres. Quelque chose dans leurs yeux.
Kim replaça une mèche rebelle qui était tombée sur ses lunettes. Ses jambes étaient croisées et elle avait placé ses mains entre ses cuisses comme pour les réchauffer ou bien pour les empêcher de bouger. Son visage était pâle. Jacob l‘observa. Il ne la trouvait pas jolie et il se dit que les belles filles avaient toujours une amie qui ne l’était pas. En l’examinant il vit de l’angoisse dans son visage et il se sentit coupable d’avoir eu cette pensée.
Jacob n’aimait pas qu’on lui dise du bien des gens comme pour justifier qu’ils seraient incapables de faire du mal. Il avait vu trop de choses. Trop de ces gens bien commettrent des crimes horribles. Il disait qu’il n’y avait pas de visage innocent excepté chez les enfants. Et encore. C’était la vision qu’il avait du monde. Manuel ne voyait pas les choses de la même façon ou plutôt il ne voulait pas voir les choses de cette façon.
Affable. Bien élevé. Toujours souriant. Le genre à défendre les plus faibles. Celui à qui l’on peut se fier. Celui qui vous aide quand vous en avez besoin. Celui que toutes les filles veulent avoir comme petit copain et que tous les gars veulent avoir comme meilleur ami. Manuel avait écouté son ami lui parler de Jacob comme s’il lui avait parlé d’un étranger et il avait pensé : j’aimerais bien le rencontrer ce type.