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Une fois dans la rue, le gendarme fait un gros effort pour imiter la tête du type qui trouve naturel d’être suivi par un mollusque à moteur. Pour compenser le malaise, il donne ses ordres. Bonne fille, je me mets au garde-à-vous mental.
- Commençons par récupérer le deuxième classe Babiloune, mon stagiaire; Il est allé manger au café avec pour mission de tâter le terrain. C’est le meilleur endroit pour saisir les ambiances; Vous pouvez m’y conduire, s’il vous plaît ?
- Avec grand plaisir, mon adjudant, fais-je de ma voix langoureuse d’hôtesse de l’air.
Pascalini me lance un regard de sidération. Un légume qui parle ? Ça leur fait un choc chaque fois. J’attends toujours un peu avant d’offrir ma surprise vocale. Histoire de savourer les mimiques interloquées.
C’est tout récent et c’est extraordinaire : depuis un mois, un nouvel équipement informatique a transformé ma vie. Mon père m’a offert le même ordinateur que celui de l’astrophysicien Stephen Hawking, cloué dans un fauteuil à cause de la maladie de Charcot. Le gars exploitait les trous noirs et perçait les mystères de l’univers alors qu’il n’arrivait même pas à se curer le nez. Un modèle pour moi.
Cet ordinateur permet de traduire vocalement les mots que j’écris de mon majeur. Je peux enregistrer des phrases prêtes à l’emploi et utiliser un panel de voix pour accentuer mes effets. Avec les hommes, j’opte pour des timbres chauds, des sonorités érotiques : ça me va bien au teint.
- Vous me suivez mon adjudant ?
- Bien… bien sûr, balbutie Pascalini.
Toujours réjouissant de voir les gens faire comme si tout était normal alors que leur visage exprime le contraire. Personne n’ose jamais me dire « Vous parlez ? C’est incroyable ! » ou « Vous comprenez ce qu’on dit ? » ou encore « Alors vous n’êtes pas vraiment un légume ? » Ca ne se fait pas de parler à une handicapée de son handicap, au cas où elle ne serait pas au courant de son état.