Oh puissais-je accorder la Raison, la Folie,
Qu'un clair matin, non loin de la mer claire,
Cet esprit mien, de plaisir trop avare,
Me fasse l'Eternel présent. Et par la fantaisie
— Qui le cœur embrase et détourne l'ennui —
Que les mots, les sons, les timbres, quelquefois
Perpétuent l'aujourd'hui, et que l'ombre rare
Qui me contrefait au mur, me soit sage et guide
En mon errance parmi tamaris et dalles ;
— Oh douceurs dans la bouche ! les douces pensées ! —
Qu'elles fassent vrai l'Abscons, qu'à l'abri de
calanques,
Les images du songe par les yeux éveillés,
Vivent ; que le Temps ne soit plus ; mais l'espérance
En d'Immortels Absents, la lumière et la danse !
p.29
NOUS DISIONS : LA NUIT !, …
À Carles Riba
Nous disions : la Nuit !, par une nuit ouverte
Sur la côte du Temps, au-delà de mourir,
Quand de noires fraîcheurs semblent comme un
fleurir
D'eaux, de voix, et de feux, sur une mer couverte.
Pour toi comme pour moi il n'y avait, déserte,
Aucune main, aucun foyer ; cellier sans vin ;
Mais Tous au cœur du Tout, nous savions le chemin
Si juste et si royal de la Contrée Offerte.
Unis nous n'étions qu'Un sur l'immortel sentier,
Une haleine indivise, un vent qui vente l'aire,
Et en un seul mot, le Mot, était parler commun.
Esclaves de lumière, libérés par l'espoir,
Forts dans la forteresse, assaillis par Aucun,
L'ombre d'un seul drapeau tombait sur nous, le soir.
Cadaqués, 30 août 1953
p.57
On he deixat les claus
Où l'ai laissé les clefs/1953
KRTU/1932
Pistes désertes et avenues mortes,
Ombres sans ombre aux criques et aux plages,
Coteaux cendrés dans les plus fous virages,
Trophées d'amour aux fenêtres, aux portes.
Vers quel endroit, oh ma folie, emportes-
Tu ce corps, le mien, qui ne craint l'orage
Ni ne s'étonne des mouvants parages
Ou des mille spectres des villes mortes ?
Je ne sais péribole en terre obscure
Où ajuster pas et gestes divers
Pour qui la solitude est art de vivre.
N'y a-t-il bagne ou caserne si dure
Non plus ponton sur la mer étrangère
Où je sois davantage esclave et libre ?
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