AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de sonatem


Gauguin
     
Comment discerner à quel moment la couleur de Gauguin quitte la couleur des choses pour devenir artificielle? Le passage est insensible. Par une transformation subtile elle cesse peu à peu d'être naturelle; elle se fait silencieusement merveilleuse; elle s'ouvre à l'enchantement.
     
Elle est sourde et fleurie. Elle s'étend en flaques claires mais comme voilées par l'absence du soleil. Ce n'est pas la profondeur de l'objet qu'elle exprime, mais son visage plein de sourire dans la diaphanéité de l'ombre. Chaque nuance s'épanouit largement, avec quiétude; elle déborde jusqu'à s'étaler et sitôt se tient muette. Elle est vive pourtant. Souvent une touche brille au cœur du tableau; mais l'ensemble est si contenu que d'abord on ne la voit pas. C'est comme une luciole dans le feuillage. Puis, soudain, voici qu'elle veillait.
     
En même temps qu'il atténue sa couleur, mettant je ne sais quel suspens à sa floraison, Gauguin la répartit avec soin sur la toile. De tous les tons éparpillés en multiples flocons à la surface de l'objet qu'il copie, il opère le discernement; puis il condense chacun. Leur diversité confondue se rassemble peu à peu en larges taches dont chacune représente, réuni, un des aspects épars du modèle. C'est le contraire du procédé impressionniste. Dans le contour d'un arbre les feuillages se distribuent en quelques masses colorées qui se juxtaposent sagement. On sent une volupté de la couleur à s'arranger ainsi à l'intérieur des objets, à se disposer suivant leur forme. Sur la déclivité du terrain, ce rose pourtant ne dépasse pas sa limite; il s'arrête en un remous frangé.
     
Mais les tons par lesquels les objets se laissent envahir, ne leur sont pas étrangers. Ce n'est pas un accord préconçu de nuances qui s'impose au tableau et remplace les teintes naturelles. Gauguin use seulement de son pouvoir sur les choses; il leur persuade de se laisser détourner légèrement de ce qu'elles sont. Il appelle leurs tons du sein du désordre; il les tente avec subtilité, il les invite à se reformer. Il invoque en silence les éléments dispersés et les rejoint par une sorte d'influence, ainsi qu'en soufflant sur des braises on les ranime en une seule flamme. [...]
     
Peut-être en certaines toiles trop de fleurs, une richesse trop épanouie.... Le tableau de Gauguin que j'aime le plus, c'est ce grand panneau, cet étrange Paradis méditatif, intitulé: "D'où venons-nous? Que sommes-nous? Où allons-nous?" Il renferme des parties de clair-obscur, des enveloppements. La tiède nuit tahitienne baigne le paysage. Et n'est-ce pas elle qui se tient dans le fond comme une femme voilée par l'ombre et retirée?
     
     
Études, 1911 – pp. 56-8
Commenter  J’apprécie          131





Ont apprécié cette citation (9)voir plus




{* *}