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Citations de Jacques Rivière (11)


Jacques Rivière
DEUXIÈME PARTIE
TEXTES ET POÈMES INÉDITS/BILBOQUET


LE MAUVAIS RÊVEUR

  Mes rêves sont avant tout une liqueur, une sorte
d'eau de nausée où je plonge et qui roule de sanglants
micas. Ni dans la vie de mes rêves, ni dans la vie
de ma vie je n'atteins à la hauteur de certaines images,
je ne m'installe dans ma continuité. Tous mes rêves
sont sans issue, sans château-fort, sans plan de ville.
Un vrai remugle de membres coupés.
  Je suis, d'ailleurs, trop renseigné sur ma pensée
pour que rien de ce qui s'y passe m'intéresse : je ne
demande qu'une chose, c'est qu'on m'enferme défini-
vement dans ma pensée.
  Et quant à l'apparence physique de mes rêves, je
vous l'ai dit : une liqueur.

p.224
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Jacques Rivière
Seuls les chefs d’œuvre ont le privilège de se concilier du premier coup un chœur aussi consonant d’ennemis. Les sots jamais ne se mettent en révolution sans qu’il leur ait été fait quelque positive et vraiment cruelle injure.

(à propos de son ami Mr Marcel Proust, lors de la polémique autour de la récompense du Goncourt pour "À l'ombre des jeunes filles en fleur " qu'il lui a été attribué en 1919)
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Gauguin
     
Comment discerner à quel moment la couleur de Gauguin quitte la couleur des choses pour devenir artificielle? Le passage est insensible. Par une transformation subtile elle cesse peu à peu d'être naturelle; elle se fait silencieusement merveilleuse; elle s'ouvre à l'enchantement.
     
Elle est sourde et fleurie. Elle s'étend en flaques claires mais comme voilées par l'absence du soleil. Ce n'est pas la profondeur de l'objet qu'elle exprime, mais son visage plein de sourire dans la diaphanéité de l'ombre. Chaque nuance s'épanouit largement, avec quiétude; elle déborde jusqu'à s'étaler et sitôt se tient muette. Elle est vive pourtant. Souvent une touche brille au cœur du tableau; mais l'ensemble est si contenu que d'abord on ne la voit pas. C'est comme une luciole dans le feuillage. Puis, soudain, voici qu'elle veillait.
     
En même temps qu'il atténue sa couleur, mettant je ne sais quel suspens à sa floraison, Gauguin la répartit avec soin sur la toile. De tous les tons éparpillés en multiples flocons à la surface de l'objet qu'il copie, il opère le discernement; puis il condense chacun. Leur diversité confondue se rassemble peu à peu en larges taches dont chacune représente, réuni, un des aspects épars du modèle. C'est le contraire du procédé impressionniste. Dans le contour d'un arbre les feuillages se distribuent en quelques masses colorées qui se juxtaposent sagement. On sent une volupté de la couleur à s'arranger ainsi à l'intérieur des objets, à se disposer suivant leur forme. Sur la déclivité du terrain, ce rose pourtant ne dépasse pas sa limite; il s'arrête en un remous frangé.
     
Mais les tons par lesquels les objets se laissent envahir, ne leur sont pas étrangers. Ce n'est pas un accord préconçu de nuances qui s'impose au tableau et remplace les teintes naturelles. Gauguin use seulement de son pouvoir sur les choses; il leur persuade de se laisser détourner légèrement de ce qu'elles sont. Il appelle leurs tons du sein du désordre; il les tente avec subtilité, il les invite à se reformer. Il invoque en silence les éléments dispersés et les rejoint par une sorte d'influence, ainsi qu'en soufflant sur des braises on les ranime en une seule flamme. [...]
     
Peut-être en certaines toiles trop de fleurs, une richesse trop épanouie.... Le tableau de Gauguin que j'aime le plus, c'est ce grand panneau, cet étrange Paradis méditatif, intitulé: "D'où venons-nous? Que sommes-nous? Où allons-nous?" Il renferme des parties de clair-obscur, des enveloppements. La tiède nuit tahitienne baigne le paysage. Et n'est-ce pas elle qui se tient dans le fond comme une femme voilée par l'ombre et retirée?
     
     
Études, 1911 – pp. 56-8
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A Marcel Proust
grand peintre de l'amour
cette indigne esquisse
est dédiée
par son ami
J.R.
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Dès mon enfance, les femmes furent pour moi un objet de véritable adoration. Avant même que je fusse capable de les désirer, leur regard, leur démarche, les tendres lignes de leur corps me donnaient un trouble informe et délicieux, où je m'abîmais tout entier et passionnément. Je ne me sentais pas du tout précipité vers elles. Au contraire, elles m'apparaissaient comme sacrées, comme interdites.

(incipit)
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Oui, je m'étais moi-même détruit à l'avance dans son cœur et cela était irréparable ; jamais je ne redeviendrais pour elle celui qui commande, qui conduit, qui enivre. Jamais l'idée ne lui viendrait de se suspendre à moi, les yeux fermés, ni de glisser, entre mes bras, assoupie, remise, dans le grand exil du plaisir.
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Je lui permettais bien aujourd'hui de faire la fière. Elle n'en avait pas moins subi la condition des femmes, elle avait reçu - et dans quelles formes aggravantes - l'insulte solennelle et rituelle du désir. Cela était détestable, et tout de même c'est ce qui la fécondait pour moi, ce qui remuait la terre aride de son cœur et en faisait les mottes au soleil exposées.
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Une ombre de confusion et de remords passa sur le visage d'Aimée. Je vis qu'elle se rappelait tout à coup.
Elle se rappelait. Il faut comprendre tout ce que ce mot signifie d'horreur. Elle ne pensait plus que je l'aimais ! Cette idée, comme un objet qu'on oublie sur une étagère, comme, dans une machine, un rouage superflu qui peut tomber en route sans que le moteur s'arrête - cette idée était sortie de sa mémoire. Et elle n'y rentrait maintenant que par la grâce d'un nouveau hasard, que parce que j'étais revenu me mettre devant ses yeux.
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De sa longue et souple secousse le train me répétait interminablement que je n'avais aucune raison de manquer de patience. Et quand il s'arrêtait dans les grandes gares silencieuses, le marteau de l'homme qui venait frapper les roues des wagons, me recommandait encore : Patience ! Patience !
Ainsi s'endormait, ainsi veillait ma douleur à travers cette longue nuit de voyage, ainsi saignait sagement mon cœur...
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La symphonie de Debussy, c'est un foyer d'où s'échappent de tremblants rayons ; il y a un noyau et tout autour un frémissement vaporeux, le flottement de mille incertaines harmoniques ; nous sommes au milieu de la fuite des sons ; ils nous quittent et se dissipent dans tous les sens, formant autour de nous une buée délicate, sans cesse en train de s'évanouir. - Une telle musique ne peut rien exprimer que par allusions ; elle n'atteint pas les choses ; elle les indique seulement, elle nous envoie vaguement vers elles ; elle les émeut sans les saisir. Tout ce qu'elle exprime reste en dehors d'elle, n'est que retenu dans ses environs ; elle n'enferme rien, mais il y a mille présences indistinctes qu'elle s'annexe doucement et qu'elle persuade de demeurer auprès d'elle.
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La peinture est un moyen d’empêcher les choses de bouger. – Tout être vivant rayonne ; il permet à sa forme de s’en aller de lui, elle se détache incessamment de lui comme un beau fantôme vite dissipé ; et par chacun de ses gestes il délie de doux cercles invisibles qui se propagent. Le trait d’Ingres recueille partout cette grâce émanée [...]. En effet ce n’est pas avec une lente patience et place par place qu’Ingres fixe le mouvement des corps et de l’objet qu’il peint ; mais avec une décision passionnée, et par une élection sublime, il le remplace d’un seul coup. Tout de suite il aperçoit la forme qui tient lieu de toutes les autres ; elle est étrange, il est difficile d’en rendre compte. Mais qu’y faire ? Elle est juste.
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