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Citation de Lesaloes


Fantasmagories des paysages d’automne

C'est instantané. Est-ce qu’il y a eu une sorte de mot d'ordre donné, hier soir, pendant que vous tourniez le dos au ciel pour faire votre soupe ? Ce matin, comme vous ouvrez l'oeil, vous voyez mon frêne qui s'est planté une aigrette de plumes de perroquet jaune sur le crâne. Le temps de vous occuper du café et de ramasser tout ce qui traine quand on couche dehors et il ne s’agit déjà plus d’aigrette mais de tout un casque fait des plumes les plus rares : des roses, des grises, des rouille. Puis ce sont des buffleteries des fourragères, des épaulettes, des devantiers , des cuirasses qu’il se pend et qu’il se plaque partout ; et tout ça est fait de ce que le monde a de plus rutilant et de plus vermeil. Enfin, le voilà dans ses armures et fanfreluches complètes de prêtre-guerrier qui frotaille de petites crécelles de bois sec.
M 312 n’est pas en reste. Lui ce sont des aumusses qu’il se met ; des soutanes de miel, des jupons d'évêque, des étoles couvertes de blasons et de rois de cartes. Les mélèzes se couvrent de capuchons et de limousines en peau de marmotte, les érables se guêtrent de houseaux rouges, enfilent des pantalons de zouaves, s'enveloppent de capes de bourreau, se coiffent du béret des Borgia. Le temps de les voir faire et déjà les prairies se bleuissent de colchiques. Quand, en retournant, vous arrivez au-dessus du col La Croix, c'est d'abord pour vous trouver en face du premier coucher de soleil de la saison : du bariolage barbare des murs ; puis, vous voyez en bas cette conque d'herbe qui n'était que foin quand vous êtes passé, il y a deux ou trois jours, devenue maintenant cratère de bronze autour duquel montent la garde les Indiens, les Aztèques, les pétrisseurs de sang, les batteurs d'or, les mineurs d’ocre, les papes, les cardinaux, les évêques, les chevaliers de la forêt ; entremêlant les tiares, les bonnets, les casques, les jupes, les chairs peintes, les pans brodés, les feuillages d'automne, des frênes, des hêtres, des érables, des amélanchiers, des ormes, des rouvres, des bouleaux, des trembles, des sycomores, des mélèzes et des sapins dont le vert noir exalte toutes les autres couleurs.
Chaque soir, désormais, les murailles du ciel seront peintes avec ces enduits qui facilitent l'acceptation de la cruauté et délivrent les sacrificateurs de tout remords. L’ouest, badigeonné de pourpre, saigne sur des rochers qui sont incontestablement bien plus beaux sanglants que ce qu'ils étaient d'ordinaire rose satiné ou du bel azur commun dont les peignaient les soirs d'été, à l'heure où Venus était douce comme un grain d'orge. Un blême vert, un violet, des taches de soufre et parfois même une poignée de plâtre là où la lumière est la plus intense, cependant que sur les trois autres murailles s’entassent les blocs compacts d’une nuit, non plus lisse et luisante, mais louche et agglomérée en d’inquiétantes constructions : tels sont les sujets de méditation proposés par les fresques du monastère des montagnes. Les arbres font bruire inlassablement dans l'ombre de petites crécelles de bois sec.

Un roi sans divertissement p. 272-273, La Pléiade, éd. Gallimard, 1974
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