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Critiques de Jean-Jacques Gabas (2)
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Le temps de la Chine en Afrique. Enjeux et ..

L’arrivée de la Chine en Afrique charrie son lot de fantasmes. On imagine volontiers qu’elle résulte d’une stratégie fourbie dans une salle secrète de la Cité interdite par quelques hiérarques du Parti communiste en mal de matières premières pour nourrir la croissance de l’empire milliardaire et de débouchés commerciaux pour écouler ses produits. On en exagère les manifestations : la Chine achèterait des millions d’hectares dans le seul but d’assurer sa sécurité alimentaire ; elle enverrait ses prisonniers politiques construire des routes… L’ouvrage dirigé par Jean-Jacques Gabas et Jean-Raphaël Chaponnière entend dénoncer ces rumeurs qu’entretient, il est vrai, une opacité voulue par les autorités chinoises elles-mêmes. Refusant la facilité qui consiste à recycler des analyses déjà publiées et à utiliser des informations de seconde main, ils se sont appuyés sur un solide travail collectif mené au sein du master de Coopération internationale de Paris-I dirigé par Yves Viltard, dont plusieurs étudiantes ont été missionnées au Cap-Vert, au Niger ou au Zimbabwe…

En quelques années, la Chine est devenue un acteur majeur sur le sol africain. Cela ne signifie pas qu’elle en était absente. Sans remonter jusqu’à la flotte de l’amiral Zheng He qui explora la côte swahilie au début du XVe siècle, la Chine de Mao s’intéresse à l’Afrique : elle coopère avec Sékou Touré ou Nyerere, et construit entre Lusaka et Dar-es-Salam une pharaonique voie ferrée de 1 600 kilomètres. L’objectif est alors essentiellement politique ; il s’agit de concurrencer à la fois l’URSS et Taiwan. Mais c’est durant les années 2000 que la Chine réalise une véritable percée. Le symbole le plus éclatant en fut la tenue à Pékin, fin 2006, du Forum de coopération sino-africain qui rassembla la quasi-totalité des chefs d’État africains.

Entre 2000 et 2010, les échanges commerciaux sont multipliés par douze, atteignant près de 100 milliards de dollars. La Chine est désormais le premier partenaire commercial de l’Afrique subsaharienne. Mais la réciproque est loin d’être vraie : la part de l’Afrique dans les exportations chinoises représente à peine 4 % en 2010, soit deux fois moins que la Corée du Sud. Alors que la Chine enregistre globalement de faramineux excédents commerciaux, ses échanges avec l’Afrique restent — légèrement — déficitaires. Elle en importe plus de pétrole, de minerais et de bois qu’elle n’y exporte de biens de consommation (l’auteur ne dit-il rien des infrastructures qu’elle y conscrit ?). Ses achats massifs ont contribué à l’envol du prix des matières premières et aura permis à l’Afrique de traverser sans trop de dommages la crise financière de 2008. Ce constat vaut essentiellement pour les pays africains exportateurs de matières premières : au premier chef l’Angola, qui fournit la moitié des importations chinoises de pétrole africain, mais aussi le Soudan, les deux Congos ou le Nigeria. La situation est différente dans les pays dépourvus de matières premières (Bénin, Togo), dont le solde commercial se creuse. Les produits chinois de consommation courante ont conquis le marché africain au détriment des fabrications industrielles et artisanales locales (coton), mais surtout des produits de meilleure qualité de marques européennes ou japonaises (téléphones portables, deux-roues, médicaments…).

La deuxième dimension de la percée chinoise est son « aide au développement » — une expression occidentale qu’elle a finalement consenti, début 2011, à substituer à celle, plus tiers-mondiste, de « coopération au développement ». Faute de statistiques fiables, cette aide est difficile à mesurer. Mais les économistes s’accordent à lui reconnaître un poids incomparablement plus faible (environ 2,5 milliards de dollars par an) que celui de l’aide occidentale. Concentrée dans le secteur des infrastructures — la réalisation la plus emblématique est le nouveau siège de l’Union africaine à Addis Abeba —, elle est la cible de nombreuses critiques : elle n’est pas déliée (elle profite majoritairement à des entreprises chinoises) ; elle n’est pas concertée (alors que la Chine a pourtant signé la déclaration de Busan sur l’efficacité de l’aide) ; elle n’est subordonnée à aucune conditionnalité politique (elle permet à des « États voyous » comme le Soudan ou le Zimbabwe de contourner les sanctions occidentales) ; elle encourage le réendettement de pays qui viennent de bénéficier de remises de dettes.

La troisième dimension est migratoire. S’imaginer que la Chine envisage de créer des colonies de peuplement en Afrique pour alléger la pression démographique chez elle serait néanmoins très exagéré. Le nombre de Chinois vivant aujourd’hui en Afrique avoisine probablement le million (dont la moitié en Afrique du Sud) : c’est quatre fois plus que la communauté française, mais trois fois moins que la communauté indienne. Comme le montrent les enquêtes de terrain réalisées dans le cadre du livre, ces migrations sont spontanées, temporaires et désordonnées. Elles ne sont pas le résultat d’une stratégie délibérée d’implantation. Césarine do Rosario, l’un des auteurs du livre, qui se penche dur le cas du Cap-Vert, décrit une communauté chinoise très visible dans la sphère économique (les Chinois ont réussi à racheter la plupart des boutiques du centre commercial), mais très discrète dans l’espace social (la communauté vit repliée sur elle-même, limite ses échanges au lieu de travail et ne s’implique pas dans la vie associative ou politique cap-verdienne). La présence chinoise, enfin, par sa faible exogamie : cette communauté, majoritairement masculine, ne fréquente pas les Africaines ; et lorsqu’elles tombent enceintes, les Chinoises rentrent au pays pour y accoucher. On le voit : on est encore très loin de la colonisation redoutée par certains ...
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Nord-Sud, l'impossible coopération ?

Jean-Jacques Gabas enseigne l’Economie du développement à Paris XI Orsay et à l’IEP Paris. Il présente, dans un ouvrage clair et pédagogique, les déceptions nées de cinquante années de politiques de coopération et suggère les moyens de refonder le dialogue Nord-Sud.

La coopération, relation symétrique et égalitaire, s’est dévoyée en aide au développement, asymétrique et verticale, dès le lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Il s’agissait d’assister les pays « en retard de développement » sur la trajectoire de croissance empruntée un siècle plutôt par les pays industrialisés. Le plan Marshall a été érigé en modèle. Les pays du Nord décidaient des modalités de développement de ceux du Sud, sans consultation des populations.

Cette politique, humiliante pour le récipiendaire (« La main qui reçoit est toujours sous celle qui donne »), suppose des transferts financiers considérables. Or la manne de la générosité publique n’a cessé de diminuer. L’objectif de 0,7% du PNB des pays riches, arbitrairement fixé dans les années 60 sans appréciation préalable des besoins financiers des PVD, demeure incantatoire. L’aide a surtout bénéficié au continent asiatique où les Etats-Unis souhaitaient enrayer la montée du communisme ; l’Afrique noire, victime d’afro-pessimisme, a été marginalisée. Dans les années 90, second effet d’éviction, l’aide au développement est allée à l’Europe de l’Est, à la reconstruction de l’ex-Yougoslavie.

L’Europe, malgré sa surface financière, est aujourd’hui à la traîne de la politique menée par les institutions de Bretton Woods. Pourtant, dès 1957, la CEE s’est souciée de coopération, articulant aide au développement et ouverture asymétrique de ses frontières aux exportations. Le Stabex et le Sysmin garantissaient la stabilité des recettes d’exportation. Un dialogue politique était instauré dans le cadre du système de Lomé. Une assemblée paritaire était créée. La contractualisation primait sur la conditionnalité, la différence n’étant pas seulement sémantique. Mais l’accord de Cotonou signe la fin de cette spécificité. Les décaissements décroissent ; le « consensus de Washington » prévaut ; le régionalisme UE-ACP se dissout dans le multilatéralisme de l’OMC.



Jean-Jacques Gabas brosse ensuite à grands traits l’histoire des politiques de développement depuis les années cinquante. Après Rostow, l’idée à prévalu que les PVD devaient suivre un chemin de croissance obligé. Qu’on soutienne tous les secteurs (c’est la théorie du big push de Rosenstein-Rodan) ou seulement les « industries industrialisantes » il fallait promouvoir la croissance. Mais celle-ci réduit-elle automatiquement les inégalités ? Plutôt que de privilégier la croissance, les politiques d’aide au développement ont ensuite visé en priorité à satisfaire les besoins fondamentaux par des projets précis et ciblés. C’est l’aire de l’aide-projet. Les années 80 marquent une rupture. La priorité est désormais donnée au rééquilibrage des finances publiques et des balances des paiements. On passe de l’aide-projet à l’aide-programme. On considère sans barguigner que l’insertion dans l’économie mondiale aura des effets positifs. La bonne gouvernance économique devient une priorité. Elle est liée à une démocratisation souvent teintée d’ethnocentrisme.



Le bilan de cette politique chaotique est mauvais. L’aide au développement a certes laissé des traces sur le terrain : des routes, des écoles, des hôpitaux ont été construits. Mais elle s’est complexifiée, s’est sédimentée. Les intervenants se multiplient. Les priorités s’ajoutent aux priorités : lutte contre la pauvreté, démocratisation, développement rural, sécurité urbaine …



Jean-Jacques Gabas propose de reconstruire le dialogue Nord-Sud autour de biens publics mondiaux. Le concept est connu : il s’agit de problèmes planétaires dont la gestion étatique est insuffisante. L’économie néo-classique en a dressé la liste et en a défini les modes de régulation par des mécanismes internationaux souvent imposés au Sud. L’économie politique, moins dogmatique, suggère d’associer le Sud à la définition de ces biens et à leurs modes de gestion. Les médicaments génériques, les logiciels peuvent-ils être des biens publics mondiaux, à conditions que soient révisées les règles de la propriété intellectuelle ? Quid de la monnaie ?

Cette réhabilitation des politiques publiques est, selon Gabas, la seule manière de sortir de l’aide sans coopération dont le Sud a si longtemps pâti.
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