En quelques semaines, mes tilleuls ont fait un geste qu'ils vont, en de longs mois encore, déployer jusqu'à réunir une voûte argentée entre arbres opposés, jusqu'à confondre leurs bras entre arbres voisins. Je considère que chacune des feuilles nouvelles ajoute un réceptacle minuscule à l'immense appareil de perception qui insensiblement s'organise: des milliers d'yeux s'ouvrent disposés sur les milliers de branches et il me semble même entendre, en un bruit continu, leur éclosion. Le système atteint sa plénitude perçoit, envisage, surveille le ciel, la terre, les mouvements des êtres qui circulent : l'arbre, parvenu à ce point, prend conscience enfin de son éveil, de ses racines les plus enfouies aux feuilles les plus modestes; il s'étend encore de par sa propre poussée mais aussi de la fraternité qui l'unit à ceux de son espèce: l'allée de tilleuls croît, multiplie ses sens, existe, frémit comme un seul. Ce rythme de vie n'a rien d'humain. ....
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Mais encore fallait-il écrire...
Et pour cela s'interdire à tous jamais
les idées trop faciles, les filons, la répétitions.
Jeter, jeter tout cela.
s'en débarrasser.
C'est désolant, au fond, d'être ainsi englouti par la matière !
Alors Bert décida de penser très fort à tout ce qu'il avait aimé : femme, fleur, papillon, montagne et eau qui circule. Il désira être emporté vers les crêtes comme un grain de pollen. Il voulut en même temps garder tous ces secrets amoureux pour lui et se rassurer en les retenant contre lui comme des câlins d'enfant, comme des nounours.
je compris que mon arrivée représentait surtout un dérivatif à ce que je crus être son travail et qui était avant tout son angoisse. Je lui permettais dêtre OBLIGÉ de ne pas travailler.
Aménagements successifs d'un jardin, à C., en Bourgogne, p. 49
Qu'on veuille bien se mettre aujourd'hui dans ma position. Que puis-je faire de cette œuvre encombrante et si étrange ? Un tableau avec l'artiste mort étouffé à l'intérieur.
L'arc-boutant me paraissait de jour en jour la position idéale – qui n'en excluait pas d'autres, bien sûr – susceptible de couronner notre union physique. Moins classique que la levrette et plus permissive que la brouette affublée de surcroît d'un nom de jardinerie qui ne pouvait la faire prendre au sérieux.
Or, ne pas rire pendant l'amour ! Ne pas rire. Ne pas rire. (page 33)
Il décide brusquement qu'il n'est plus sujet au doute, au découragement, à l'impression ou à l'influence. Il sait maintenant qu'il est une machine et qu'en cela réside sa dignité. Le bambou rachitique survit et croît dans des circonstances adverses : en tant qu'homme, il le peut aussi.
Quelle que soit la diversité des lieux qu'ils investissent, tous les bambous sont frères et soeurs, reliés sous la terre par un même pied, immense serpent qui les nourrit, les dirige, les anime.
Comme une grosse boule verte, la terre fonçait dans le vide à une vitesse effarante. Des objets célestes venaient s'y fracasser dans un tumulte épouvantable. Cependant, les êtres qui s'y accrochaient vivaient dans la plus incroyable inconscience, se déplaçaient sur leurs petites jambes, gesticulaient vainement, continuaient à manger, à dormir, à s'aimer et à se faire souffrir. J'étais atterré et attendais, pour ma part, à chaque instant, la catastrophe. Je vivais dans une perpétuelle angoisse qui m'écrasait.
(page 11)