Jean-Marie Piemme. Les Pâtissières.
CHIEN. J'ai croisé un jour un crétin, fils de crétin, qui m'avait éteint sa cigarette sur la fesse juste parce que c'était un dimanche après- midi et qu'il s'emmerdait comme tous les dimanches après- midi. Le fils tenait du père; quand le fils demandait " papa qu'est-ce que tu fais le dimanche après- midi quand tu t'emmerdes? ", le père répondait " je cogne sur ta mère". Il y a des mecs quand tu les regardes au fond des yeux , tu comprends tout de suite que le pire sera là pour longtemps, et ça fait froid dans le dos parce qu'on voudrait bien voir l'humanité avancer vers le mieux . Tu ne peux pas savoir combien, entre chiens, on se le dit: quand est- ce que ces mecs cesseront d'être des bêtes ? quand? quoique, disant cela, on est très injuste avec les bêtes, on n'a jamais vu un mâle d'aucune espèce animale taper sur sa femelle parce qu'il s'emmerde le dimanche après- midi.
CHIEN. Un aveugle avec un chien,personne ne s'arrête. Mais un pauvre chien aveugle guidé par un humain qui voit, ça c'est neuf. Aujourd'hui, l'aveugle classique ne suscite plus grand intérêt. Les gens veulent du neuf.
PORTIER. Tu as une drôle de dégaine. C'est ton vrai nez, ça? Quelle race?
CHIEN. Une race qui aime le café si ce n'est pas trop demander.
PORTIER.Les progrès de la génétique sont formidables . Ne me prends quand même pas pour une courge.
CHIEN. Thé u jus de fruits sont aussi dans mes options. A la rigueur, une bière. C'est chez toi ici?
PORTIER ( jetant quelque chose). Va chercher! Va chercher!
CHIEN. Va te faire foutre. Va te faire foutre.
PORTIER ( dubitatif). Ouais!
CHIEN. En somme tu voulais voir mes papiers.
PORTIER. Fais des cabrioles!
CHIEN. Je marche déjà sur deux pattes, ça ne suffit pas?
PORTIER. Je te préviens tout de suite: il n'y a pas de place pour toi.
CHIEN. Parce qu'on n'est pas de la même race?
PORTIER. D'où viens- tu exactement?
CHIEN. Un peu partout.
PORTIER.Un pur bâtard!
CHIEN. La pureté, je m'en bats l'oeil. Bâtard me suffit. Les races pures, on sait où ça mène.
PORTIER. Tu parles bizarre pour un chien
Selon toute logique, ce fils instruit épouserait une fille qui elle aussi a fait des études. La créature l’entrainerait davantage encore dans un monde de goûts et d’habitudes où la mère n’a pas sa place. Le fils, cette part de la mère, deviendrait la part d’un autre univers, et elle resterait couchée sur le flanc comme une vieille bête qui a tout donné et ne reçoit plus rien.
J’ai été un enfant élevé au milieu des adultes, souvent réduit au regard et au silence, parce qu’au nom d’une bonne éducation, les petits écoutent quand les grands parlent. J’intervenais peu, sinon pour faire des bêtises, mettre mon père hors de lui, pour provoquer des accrocs dans le tissu de la détente.
Le fil des ans les avait tissé l’un dans l’autre. Il était l’ongle qui lui rentre dans la chair. Elle était une partie de lui, qu’il avait souvent traitée durement, comme il se traitait durement, comme il traitait durement tout le monde. Il ne lui a pas survécu deux ans.
Filer droit là où ça coince ? C’était une bonne stratégie. Je l’ai souvent appliquée. Le phantasme de la difficulté est la pire des castrations, et comme le disait le président Mao Tse Toung, le plus long chemin commence toujours par le premier pas.
J’étais l’élément dramatique de la famille, le pousse-au-crime d’un foyer respectable.
Le laisser-aller, c’est bon pour les riches que leur argent dispense du souci de paraître. Mais quand on n’a pas grand-chose, tout change. On se doit à son image parce que l’image est justement tout ce qu’on a.
Maman n’a pas d’instruction mais elle décode le jeu social comme personne. Il faut savoir où il en manque, disait-elle souvent, dans une formule aussi magique que mystérieuse.