Une étude du contenu de la presse de grande diffusion, catholique et communiste, correspondant à trois modes de divulgation de l’information (Moscovici, 1976), illustre classiquement cette perspective. Chacun d’entre eux renvoie à une manière typique de concevoir les relations entre des représentations, des publics spécifiques et ses formes plus ou moins instituées de régulation. Ces trois types sont ceux de la diffusion, de la propagation et de la propagande.
Logique de la diffusion et opinion
Cette première forme appréhende les buts de la communication dans les régimes démocratiques, les journaux « grand public », s’adressant à un ensemble hétérogène d’individus réunis par un thème d’actualité ou une mode. Les contenus y sont faiblement hiérarchisés et susceptibles de varier en fonction de la demande du marché, des sondages et des visées éditoriales. Dans un tel système, la source d’information n’a pas de but défini ou d’intention déclarée de changer les conduites, sauf de façon incidente. La prévalence de l’opinion nécessite, dans un tel dispositif, que l’émetteur de la communication, lors de la rédaction ou de la confection de ses messages, s’identifie avec les supposés « intérêts » du public dont les préférences ne sont pas clairement perceptibles.
« [Le contenu de communication est traité] de telle sorte qu’une certaine distance est maintenue entre l’objet et l’émetteur de la communication ; la non-implication apparente permet et suppose une marge d’ajustement entre la source émettrice et son public ; les messages gardent, à l’intérieur d’une même source, une relative autonomie qui se manifeste par la discontinuité ; quoique ce ne soit pas une forme de communication visant, ouvertement, à produire des conduites d’ensemble, la diffusion peut être efficace. »
Les thèmes abordés dans ce mode sont caractérisés par leur mobilité et leur modération, afin de ne pas heurter des sensibilités particulières et par la distanciation avec le courant psychanalytique. Les références explicites à celui-ci associent des termes spécialisés (complexe, névrose, libido) à des préoccupations composites comme l’astrologie, le développement personnel ou l’adoption de produits esthétiques. Le psychanalyste est, par exemple, transformé en être asocial « regardant par le trou de la serrure » les hôtes lors d’une réception à la campagne. Par des raccourcis rhétoriques et des formules imagées, la diffusion cherche « à s’assimiler le plus possible au public » et à s’approcher d’un type de communication non formelle comme la rumeur ou la transmission de bouche à oreille. L’humour, l’ironie, le sérieux académique scénarisé à gros traits sont souvent présents dans les entrefilets et les énoncés de la grande presse et concernent aussi bien les thérapeutes, les analysés, l’éducation des enfants ou la vogue de cette pratique aux États-Unis durant les années 1950. L’objet de représentation est élimé, décomposé et recomposé dans le cadre d’une « communication consommatoire », d’une langue destinée à être adoptée sans finalité particulière ou autre que celle de plaire au lectorat et ainsi de le divertir en décrivant des thèmes aléatoirement liés.
« La diffusion construit un monde social imaginaire, tout pétri de “neutralité”, de “consensualité” et de bienveillance, dans lequel chacun est censé se retrouver comme exemplaire d’une image multipliée que l’on prétend faire coïncider avec une condition commune. La prétention pédagogique de la diffusion constitue le signe le plus sûr de cette uniformisation projetée. » Rouquette, 1998
Tout ceci permet à chaque lecteur de « faire son miel », à partir de propositions dont le faible enchaînement logique autorise une appropriation personnelle.
« La psychanalyse, par exemple, est tantôt un langage, tantôt une matière plaisante, tantôt un prétexte et, conjointement, une orientation, une thérapeutique à laquelle on peut recourir. Et même quand elle est présentée comme une possibilité thérapeutique, on ajoute que d’autres applications médicales arrivent au même résultat […]. Finalement le nouveau ne fait que renforcer l’ancien, le statu quo. » Moscovici, 1976
Le public se retrouve ainsi dans un état d’indétermination relative sur la position à prendre face à l’objet ou d’« identité faible » (Rouquette, 1998). Une prise d’information plus active ne dépend pas directement du mode « diffusion ».