Agnès Gayraud

On peut s'arrêter, briser le cercle magique, pour calculer les effets et réveler les ficelles techniques sous-jacentes à des hits [...] Tandis que les autres commencent à sourire, à bouger la tête et danser. On n'aura pas seulement l'air d'un trouble-fête, on épousera la triste figure du pédant qui comme en parle Jankélévitch "n'obtient par l'analyse technique que le moyen le plus sûr de refuser cet abandon spontané à la grâce que le charme nous réclame. Cet "esprit fort" qui veut prouver qu'il n'est pas dupe et ne consent pas à l'envoutement est celui qui veut s'assurer de "ne pas sympathiser". Par ce qu'il tient à son intelligence, pense devoir se soustraire "à la convention d'innocence et de naiveté sur laquelle repose tout enchantement". Le non-naïf qui refuse d'être saisi par une chose qu'il ne peut pas comprendre se méfiera toujours des hits. Il refusera toujours la convention d'innocence. Mais dès lors, il en sacrifiera en partie l'expérience. Droit dans ses bottes, analytique et conscient de soi, son expérience du hit n'est plus qu'une oeillade frileuse en direction du plaisir. Comme dans l'aventure d'Ulysse qui veut entendre le chant des sirènes tout en s'attachant au mât de son navire pour ne pas y succomber. [...] Celui qui ne goûte que du bout des lèvres au calice de l'abandon aura peut-être l'air moins stupide que l'auditeur en transe exprimant sa passion par des grimaces et des postures excentriques. Mais fait-il vraiment l'expérience qu'il se targue d'analyser? Que peut dire du charme celui qui ne se laisse pas charmer?

Effet de Nuit
J’ai quitté la fête en pleine transe
Le jour pas encore levé.
La route est trempée quelle importance
Je préfère rentrer à pieds
Baignée par les ondes

Sueur tenace
Puzzle de pensées
La lune fait sa ronde Jeunesse passe
Une tête dans d’autres réalités
Comme on se déhanche Les décibels
Montent le son
Touchent le ciel
Effet de nuit
Marcher sans bruit
Ciel blafard Qui déchire Dans un éclair
La ville entière Posée sur Terre

J’entends encore pulser le silence
Drôle de douceur cette hiver
Le monde a changé quelle importance
Nous sommes jeunes et nous sommes fiers
Comme on se déhanche Les décibels
Montent le son
Touchent le ciel
Effet de nuit
Marcher sans bruit Ciel jaguar
Qui déchire Dans un éclair
La ville entière Posée sur Terre

Où est passée ton âme
La vie, comme l’histoire, se répète.
Oh, comme le temps a passé.
Je crains de revivre sans le savoir
Cet instant qu’on a traversé.

Où est passée ton âme ?
Cariño, no lo sé
Oh,¿Dónde este mundo va?
Dis-le moi, s’il te plaît.

Ils vivaient ensemble, attachés.
J’en ai encore le cœur serré.
Comme ils se ressemblaient, soulagés
de n’avoir plus à s’expliquer.

Où est passée ton âme ?
Cariño no lo sé
Oh, où est passée son âme ?
Au fond, moi je le sais.

(refrain)
Il n’y a rien après la mort
Elle va en beauté
Il n’y a rien que les corps.
Je veux vivre et danser

Combien de plaisir peux-tu prendre
dans le temps qu’on t’a accordé ?
Je t’ai vu pâlir, te défendre
Je n’ai pas cessé de t’aimer.

Où va passer ton âme ?
Viens, je sais le secret.

(refrain)
Il n’y a rien après la mort
Elle va en beauté
Il n’y a rien que les corps.
Je veux vivre et danser

Mais y a-t-il vraiment un sens ici à détacher les compositions de leur traitement ? La musique populaire enregistrée n'est pas maquillée dans l'enregistrement mais réalisée par lui. En imposant cette découpe ontologique d'un matériau (identifié dès lors comme purement compositionnel, réduit aux accords choisis) et de son traitement, Adorno désesthétise une des dimensions essentielles du matériau musical pop, à partir duquel, précisément, nous pouvons lui reconnaître une histoire, des avant-gardes expérimentales et même des revivals : le son des musiques.