Jean-Paul Michel Défends-toi, beauté violente
Ce que peut la poésie ? Rien ne l'établit mieux que l'effet de quelques pages de vérité profonde et sentie : un arrachement à la vie inessentielle. On revient au petit nombre des livres qui possèdent ces pouvoirs avec la gratitude due à des bienfaiteurs. Ils tiennent à distance la palinodie des jours d'absence à la vie. La poésie transmue du temps en présence pleine. Cette présence, en éclat.
LE PLUS RÉEL EST CE HASARD, ET CE FEU
Meditatio italica
Retour de Pompéï, Naples, 1991
[5]
Devant moi quelques bris de poterie pi
eusement recueillis à Paestum — dans
ma poche encore je trouvai l’un
de ces fragments tout-à-l’heure cherchant
de quoi payer le café au bar — admirant
des lézards éternels — d’un vert inconnu,
pour moi grecs— tandis qu’entre les temples
d’Héra un homme affairé ramasse
des dents de lion sans le moindre trouble
historique
et
mes sandales — sans plus couleur ni forme
usées aux pavements des chaussées antiques
— ironiques présences, pour cela chères — dans
l’élégie
p.143
Ils croient savoir ! Ils ont la Réponse ! Si bien assurés de leur définitif salut qu'ils ne savent plus, dès lors, que répéter, asséner, prêchi-précher. Ô ces bénisseurs que plus iren n'inquiète, comme ils font bailler !
D'un livre seul, on peut tout attendre. Il vaut a proportion du pari désespéré qui le porte, des richesses qu'il jette, avec joie, dans son feu, pour qu'il flambe.
Rien ne l'excuse, puisqu'on y doit tout choisir. Que l'on y doivent répondre de "tout" fait devoir, pousse à devenir meilleur.
On y lutte avec les Puissances, c'est dire les chances de se perdre. Cela vaut déjà mieux, pourtant, que la plupart des "succès" du monde : méditer un assaut souverain, désintéressé, pur de toute bassesse, étranger à la cautèle ordinaire des intentions, vriament voué au vrai jusqu'à se perdre.
Quel meilleur usage du monde sinon qu'il nous soit occasion de nous exercer?
Assez de rêveries d'histoire abstraite. Ouvrez des bibliothèques.
Fondez des villes. Edifiez des palais.
Elevez une colonnade pour la promenade digne des malheureux
citoyens sans cité des villes modernes.
La Renaissance a "repeint" à neuf l'entièreté de l'être
A Urbino, la cuisine de la maison de Raphaël sent encore le
charbon et la fumée. On dirait qu'il est sorti hier.
Une étrange timidité, pourtant, paralyse les modernes.
Quand nous croyons nommer, seulement nous appelons
et nous éloignons.
Depuis que les chamanes ne tracent plus leurs cercles, l'art
de bâtir fonde les espaces humains. Donner le Nom, c'est bâtir.
Née du désir d'un seul, l'architecture est le bien de tous.
En ces temps d'encombrements, crois au mérite de vérités laconiques.
Expose sobrement. Ménage la surprise. Cache le plus précieux.
Dis peu. Rien qui suggère comme l'ellipse.
Aime la fougue. Défends-la. Les poètent qui térrifient plaisent.
Nous avons injurié la Beauté. Mais la beauté grandit de cette injure.
L'expérience pure est un feu; la poésie notre médecine.
Autant de vérités, autant de malentendus.
(
DÉFENDS-TOI, BEAUTÉVIOLENTE !
« Les signes sont l'être de l'être. »
8.
Le nom vrai d'être est chance.
L'autrement nommer diminue.
p.317
Animaux diurnes, le soleil à pouvoir sur nous.
L'être de l'être est pour nous l'être de son éclat.
Les femmes collaborent de toutes leurs forces à leur destin de proies.
La luxure est le luxe de tous.
Le plus pauvre y est aussi riche que le grand roi.
Elle est la générosité de l'être.
Son feu est le feu de la vie
"Si j'étais voué à la Politique dès ma jeunesse, dit Socrate,
je serais mort dès ma jeunesse"
Les alliés sont trahis par les alliés, le Prince par ses ministres,
l'ami par l'ami, le bienfaiteur par qui a reçu ses bienfaits.
Celui que tu aides, il te devient ennemi.
Une bonté vient-elle au monde, la solitude lui est promise,
quand ce n'est le supplice, la croix.
Nous apprenons de la mort de notre père.
" Un temps lumière avant que de se perdre"
Dejà plus ne sommes qui
nous étions
presque avons un pied de l'autre
côté
semblons spectres à qui nous voit
cryptant
lors que la vie
brûle
(comme on lui voudrait pouvoir faire hommage
d'elle
"dans le jardin relever
les statues"!)
Dans l'étroite Phalange de Ceux qui joutent
avec l'évanouissant infini chaque jour
Qui
peut assurer que nos coups
portents
à l'égal des Leurs, Ceux qui surent, les
Héros ?
Quelle empoigne pourtant quelle
passion dans le Jeu de dire avec éclat et quelles
voix à pleine poitrine quelles musiques suaves in
génumement !
Le nom vrai d'être est
CHANCE
Houle de saveurs nonpareilles brasier d'effrois
jouis
ô sans égale
Enigme !
En nous qui tant contraignions nos jours déborde
de tout ce feu accumulé jaillissant
mystère
Le monde entier maintenant tombe
comme de soi dans le Poème
D'avance maintenant valent
- de force éclat mérite- les vertus mieux
que les vices
longtemps jeunesse croit de force égale ou même
le pire et le meilleur
En avalanche toutes choses tombent
- ô simulacres !-
dans le Poème en leur ordre
juste
Chacun emporté par ce qu'il ignore l'accomplit
avec ce zèle d'ignorance et de passion qui
émeut
Puisse une parcelle de cet éclat faire
un instant scintiller cette
ligne d'encre
retentir dans le fond des ans quelques
battements de mains d'enfants leurs cris et
des pleurs si réels, qu'ils sembleront bienfaits puis
qu'il n'est d'autre bien que
signes
Un suffisant lecteur au bout de l'énorme
vide
renverra-t-il au bond la balle
que de l'autre côté de la vie nous
lançons ?
Folie sans doute mais
de ne le résilier ce monde l'accepter
perdre
avec ferveur encore
parions
sur tels échos bondissant
un temps lumière avant que de se perdre
dans les gloires sombres de
L'INFINI
Ton défaut même, ton vice, peuvent t'aider, s'ils sont tiens.