LE PLUS RÉEL EST CE HASARD, ET CE FEU
Meditatio italica
Retour de Pompéï, Naples, 1991
[5]
Devant moi quelques bris de poterie pi
eusement recueillis à Paestum — dans
ma poche encore je trouvai l’un
de ces fragments tout-à-l’heure cherchant
de quoi payer le café au bar — admirant
des lézards éternels — d’un vert inconnu,
pour moi grecs— tandis qu’entre les temples
d’Héra un homme affairé ramasse
des dents de lion sans le moindre trouble
historique
et
mes sandales — sans plus couleur ni forme
usées aux pavements des chaussées antiques
— ironiques présences, pour cela chères — dans
l’élégie
p.143
LE PLUS RÉEL EST CE HASARD, ET CE FEU
Plusieurs fois j’ai porté à mes lèvres un livre…
Extrait 6
Pardon, mes pairs, si je baise le Nom d’un Poète
[en Père et tiens
pour tel celui dont la bonté enjoint de relever le
gant
lancer les dés encore et crâne, parier
sur des beautés tombées de mains plus faibles
[maintenant comme
laissées aux chiens.
Et si je dis merci pour votre orgueil, Pères, votre
fierté, telle
incroyable bonté qui plus ne peut paraître devant les
[hommes sinon
sous les dehors d’une déraison sembler folie de nerfs
[malades lors
qu’elle est la juste Loi, même, justement dite,
impitoyable à proportion qu’amour – sans bassesse à
[proportion que
moquée.
…
p.205
à William Butler Yeats
Menjoy, 17 juin 1995.
LE PLUS RÉEL EST CE HASARD, ET CE FEU
Plusieurs fois j’ai porté à mes lèvres un livre…
Extrait 2
Dans ces instants je me demande si tant d’innocence n’est pas
ridicule d’une âme faible et crains
qu’un mouvement d’enfance naïve ne prenne
sur moi tant d’empire qu’alors
rompent les digues de la lucidité mâle
(je crois m’y être aguerri assez pour
en connaître la matière et le prix)
j’hésite
à me simplement réjouir d’un pareil
penchant : remercier d’un baiser la couverture d’un livre le Nom
d’un poète et
crains qu’un censeur à bon droit puisse
me croire le dernier
des simples touché déjà de l’idiotie des
vieillards ou mal encore sorti de l’ignorance des
tout-petits.
…
p.203
à William Butler Yeats
Menjoy, 17 juin 1995.
LE PLUS RÉEL EST CE HASARD, ET CE FEU
Plusieurs fois j’ai porté à mes lèvres un livre…
Extrait 7
Comment nous autres qui nous fîmes ces Héros
[de la froideur, voulûmes
dans d’orgueilleuses jeunesses conduire
la syntaxe au fouet, comment, oui,
comment pouvons-nous avouer dans notre âge mûr
[qu’ensemble
cédant à notre fureur nous pleurons
à la seule surprise d’un peu de beauté juste
au seul geste d’un don par-delà tout
calcul bénissons d’amour cela même qui porte
notre cœur à nos lèvres en nausées, boitons
[dans les hoquets de la vie
réelle et
baisons le Nom d’un poète sur
l’éclatante couverture d’un livre ?
Je l’ignore.
Mais le taire serait mentir. Et mentir, ici, cela
ne se peut.
p.205-206
à William Butler Yeats
Menjoy, 17 juin 1995.
LE PLUS RÉEL EST CE HASARD, ET CE FEU
Plusieurs fois j’ai porté à mes lèvres un livre…
Extrait 3
J’ai quelque honte à confesser, homme mûr,
des mouvements de si peu de maturité virile
lors même que je prétends avoir atteint maintenant
[cet état, mais
j’aurais une honte plus grande à les taire
Si bien que je m’avance
ensemble confus et fier et qu’avec dignité je voudrais
demander à mes pairs
d’accepter ensemble mon ridicule et son aveu
s’il y a du ridicule à remercier naïvement
[ce qui donne réconfort, élève, à
le baiser comme ferait d’un visage paternel un
enfant et sans prétendre m’exempter du reproche réclame
que l’on accepte chez moi mouvement pareil
le temps au moins d’en faire
confession.
…
p.204
à William Butler Yeats
Menjoy, 17 juin 1995.
Jean-Paul Michel Défends-toi, beauté violente