Citations de Jean Rousselot (55)
Les cailloux font ce qu’ils peuvent ...
Si tu vois un escargot en panne, n’intervient pas.
Il s’en tirera tout seul.
Tu pourrais le vexer. Ou bien qui sait ? le rendre malade.
Même conseil en ce qui concerne les étoiles.
Si tu en vois une qui n’est pas à sa place sur les étagères du ciel,
Dis-toi qu’elle doit avoir ses raisons.
Il n’est pas recommandé non plus de pousser la rivière dans le dos pour qu’elle aille plus vite :
Elle fait son possible.
Ah ! j’oubliais : les cailloux font ce qu’ils peuvent, eux aussi
En attendant d’aller dans la bétonneuse.
Évite donc de leur donner des coups de pied, même en douce
(extrait de "Les poèmes ont des oreilles")
LE CŒUR TROP PETIT
Quand je serai grand
Dit le petit vent
J'abattrai la forêt
Et donnerai du bois
À tous ceux qui ont froid
Quand je serai grand
Dit le petit pain
Je nourrirai tous ceux
Qui ont le ventre creux
Là-dessus s'en vient
La petite pluie
Qui n'a l'air de rien
Abattre le vent
Détremper le pain
Et tout comme avant
Les pauvres ont froid
Les pauvres ont faim
Mais mon histoire
N'est pas à croire
Si le pain manque et s'il fait froid sur terre
Ce n'est pas la faute à la pluie
Mais à l'homme ce dromadaire
Qu'a le cœur trop petit.
Un peu de solfège
Un bémol qui s’ennuyait
Voulut monter d’une octave
Mais il était si distrait
Qu’au lieu d’aller au grenier
Il descendit à la cave.
Le cafouillage en fut pire
Car l’auteur conservait là
Whisky, Champagne et vodka
Dont le bémol se soûla
Aidé par dièse et bécarres
Accourus de toutes parts.
L’éléphant d’Hannibal
Un éléphant était distrait à un tel point
Qu’il avait égaré son nom.
Quand à celui de sa rue,
Il l’avait si bien perdu
Qu’un soir voulant rentrer chez lui
Il se retrouve à Pavie
Alors qu’il habitait à deux doigts de Paris.
Mais là-dessus il rencontra un général
Qui s’appelait Hannibal
Alors il se souvient de tout :
Les Alpes, la neige, les loups
Et il se dit, le gros malin :
Que si dans l’autre sens il faisait son chemin
Il reviendrait à son logis sans peine.
Ainsi fit-il et redevint
Le plus bel éléphant du zoo de Vincennes
Et du coup retrouva son nom :
Il s’appelait Agamemnon.
Si vous savez vous servir de vos yeux,
vous participerez à la joie des oiseaux qui
prennent un bain dans la moindre flaque dès
que s’est arrêté le piano de la pluie, vous comparerez
au médecin les mouches qui se frottent les mains
interminablement et observerez que les fourmis
porteuses de grains plus gros qu’elles,
s’arrêtent de temps en temps pour s’essuyer le front.
Si vous savez vous servir de vos oreilles,
vous entendrez gémir les bouleaux sur la faiblesse
de leurs racines et cancaner les jeunes chênes
sur le compte de leurs ainés.
Si vous savez vous servir de votre cœur,
vous n’écraserez pas les limaces et remettrez sur leurs
pattes les scarabées tombés sur le dos.
Les pommes de lune
Entre Mars et Jupiter
Flottait une banderole
Messieurs Mesdames
Faites des affaires
Grande vente réclame
De pommes de terre
Un cosmonaute qui passait par là
Fut tellement surpris qu'il s'arrêta ;
Et voulut mettre pied à terre.
Mais pas de terre en ce coin-là ;
Et de pommes de terre
Pas l'ombre d'une
C'est une blague sans doute
Dit-il en reprenant sa route
Et à midi il se fit
Un plat de pommes de lune
Gare aux oiseaux qui causent!
Tutoie toutes les fleurs
Mais dis Vous à la rose.
Et si tu peux, en vers plutôt qu’en prose.
De même tutoie les oiseaux
Mais en exceptant ceux qui causent
Ils te diraient des horreurs
Que te répéter je n’ose
Si tu ne les vouvoyais
Comme on fait aux grands Seigneurs
Dont ils portent les couleurs...
CHAQUE FOIS TU ES VENUE
Je t'ai tant de fois attendue,
Porteuse d'astres, de fourrures,
O souffle chaud qui me rassure
Dans la froide psyché des rues!
Et chaque fois tu es venue...
Es-tu flamme dans la cohue?
Es-tu femme dans ta peau nue?
Puis-je dire que je t'ai vue?
C'est toi, c'est moi, ce peu de sel
Qui sèchent dans nos mains fidèles...
Ceci m'appartient, c'est mon ombre.
Tu ne peux pas ne pas m'aimer,
Ni moi te refuser, te rompre,
Toi que j'ignore, qui jamais
Ne franchiras les bords du songe.
'(Toujours d'ici. Le Méridien, Paris, 1946)
Les lettres et les êtres
Leur nom le dit les voyelles
Sont des lettres que l’on voit
Dès que l’on ouvre les oreilles.
On voit moins bien les consonnes
Ces fourmis de l’alphabet
Qui attendent qu’on les sonne.
Avec un peu d’attention
On les aperçoit pourtant
En train de jeter des ponts
Entre les cinq demoiselles
Qui sans cela ne seraient
Que des îlots solitaires
Ou des bruits élémentaires
Alors qu’il nous faut des mots.
Pour les humains, c’est pareil
Que pour les voyelles et consonnes :
L’un plante et l’autre maçonne
Mais l’un sans l’autre n’est rien.
à Henri de Lescoët
Il faudrait être encore plus simple,
Si simple que l'on puisse entrer
Dans la simplicité du vent,
Du soleil poussiéreux,
Du linge qui pantèle sur la corde sans se plaindre.
Il n'y a pas de désespoir dans le monde,
Ni d'espoir.
Il n'y a que la simplicité du vent,
Du soleil,
Du linge,
De la corde ;
Il n'y a que la simplicité de l'eau,
Ses vergetures d'accouchée ;
Il n'y a que l'eau,
Le caillou,
La simple nécessité de brûler et de mourir.
Il faudrait pouvoir entrer sans frémir
Dans les choses,
Comme les choses
Entrent dans les choses.
Pourquoi cette révulsion de notre cœur ?
Pourquoi cet éternel énervement de nos nervures ?
La pensée ne construit rien. Le sentiment nous épuise.
Nous serrons les dents et saignons
Sans accoucher.
Nous pianotons sur les choses
Comme une pluie dont chaque goutte
Aurait peur de se faire mal.
nous sommes les petits électrisés du monde.
Nous n'entrons pas.
On n'est pas n'importe qui
Quand tu rencontres un arbre dans la rue, dis-lui bonjours
sans attendre qu'il te salue. C'est distrait , les arbres.
Si c'est un vieux, dis-lui « Monsieur ». de tout façon,
appelle-le par son nom : Chêne , Bouleau, Sapin, Tilleul...
Il y sera sensible.
Au besoin, aide-le à traverser. Les arbres,
ça n'est pas encore habitué à toutes ces autos.
Même chose avec les fleurs, les oiseaux, les poissons ;
appelle les par leur nom de famille. On n'est pas n'importe qui !
si tu veux être tout à fait gentil, dis « Madame la Rose »
à l'églantine ; on oublie un peu trop qu'elle y a droit.
JEAN CLAUDE VALIN
Chante un coq à minuit Est-ce trop tôt trop tard
En ce pays bateau en ce pays bâtard
Chante un coq
Passe un rêve à minuit est- ce fou ou badin
En ce pays radeau en ce pays radin
Passe un rêve
Meurt un homme à minuit est-il seul ou à Dieu
En ce pays muet et qui sera radieux
A l'aurore .
L’esprit purifié par les nombres du temple,
La pensée ressaisie à peine par la chair, déjà,
Déjà ce vieux bruit sourd, hivernal de la vie
Du cœur froid de la terre monte, monte vers le mien.
C’est le premier tombereau du matin, le premier tombereau
Du matin. Il tourne le coin de la rue, et dans ma conscience
La toux du vieux boueur, fils de l’aube déguenillée,
M’ouvre comme une clef la porte de mon jour.
Et c’est vous et c’est moi. Vous et moi de nouveau, ma vie. Et je me lève et j’interroge
Les mains d’hôpital de la poussière du matin
Sur les choses que je ne voulais pas revoir.
La sirène au loin crie, crie et crie sur le fleuve.
Mettez-vous à genoux, vie orpheline
Et faites semblant de prier pendant que je compte et recompte
Ces fleurages qui n’ont ni frères ni sœurs dans les jardins,
Tristes, sales, comme on en voit dans les faubourgs
Aux tentures des murs en démolition, sous la pluie. Plus tard,
Dans le terrible après-midi, vous lèverez les yeux du livre vide et je verrai
Les chalands amarrés, les barils, le charbon dormir
Et dans le linge dur des mariniers le vent courir.
TOUS LES MORTS SONT IVRES
Tous les morts sont ivres de pluie vieille et froide
Au cimetière étrange de Lofoten
L'horloge du dégel tictaque lointaine
Au coeur des cercueils pauvres de Lofoten
Et grâce aux trous creusés par le noir printemps
Les corbeaux sont gras de froide chair humaine
Et grâce au maigre vent à la voix d'enfant
Le sommeil est doux aux morts de Lofoten
Je ne verrai très probablement jamais
Ni la mer ni les tombes de Lofoten
Et pourtant c'est en moi comme si j'aimais
Ce lointain coin de terre et toute sa peine
Vous disparus, vous suicidés, vous lointaines
Au cimetière étrange de Lofoten
- Le nom sonne à mon oreille étrange et doux.
Vraiment, dites-moi, dormez vous, dormez-vous ?
- Tu pourrais me conter des choses plus drôles
Beau claret dont ma coupe d'argent est pleine.
Des histoires plus charmantes et moins folles ;
Laisse-moi tranquille avec ton Lofoten.
Il fait bon. Dans le foyer doucement traine
La voix du plus mélancolique des mois.
- Ah! les morts, y compris ceux de Lofoten -
Les morts, les morts sont au fond moins morts que moi.
L’espace vert
Sous un treillis de sentiments communs, de sifflets de locomotive et d'odeurs appétissantes (moules et frites à toute heure)
Je jardine sur la tombe de ceux dont les mots me servent a‘ faire mes phrases
Comme je les ai vus jardiner sur la tombe de ceux qui les pourvurent d’un langage.
Cet espace vert est le dernier du secteur. Il y a des arbres magnifiques (je vous recommande l’allée des Noyers d’Amérique) et des bancs partout.
L’apre‘s-midi, les vieux y viennent fumer du gros-cul en regardant leurs mains m'utiles ramper sur Ieurs genoux
Et les femmes, quand elles ont tout briqué chez elles, tricoter le pull-over interminable de la vie.
A la longue, nous commençons à nous sourire. Nous finirons par travailler ensemble au dictionnaire. Déjà je tiens des boutanches au frais.
Si tu vois un escargot en panne,
n'interviens pas.Il s'en tirera tout seul.
Tu pourrais le vexer.Ou bien- qui sait?-
le rendre malade.
Même conseil en ce qui concerne les étoiles.
Si tu en vois une qui n'est pas à sa place,
sur les étagères du ciel,
dis-toi qu'elle doit avoir ses raisons.
Il n'est pas recommandé non plus
de pousser la rivière dans le dos
pour qu'elle aille plus vite:
elle fait son possible.
Ah! j'oubliais:les cailloux font ce qu'ils peuvent,
eux aussi, en attendant d'aller dans la bétonneuse.
Evite donc de leur donner des coups de pied, même en douce."
Il faudrait être encore plus simple,
Si simple que l'on puisse entrer
Dans la simplicité du vent,
Du soleil poussiéreux
Du linge qui pantelle sur la corde sans se plaindre.
Il n'y a pas de désespoir dans le monde,
Ni d'espoir.
Il n'y a que la simplicité du vent,
Du soleil,
Du linge,
De la corde;
Il n'y a que la simplicité de l'eau,
Ses vergetures d'accouchée;
Il n'y a que l'eau,
Le caillou,
La simple nécessité de brûler et de mourir.
Il faudrait pouvoir entrer sans frémir
Dans les choses.
Pourquoi cette révulsion de notre coeur?
Pourquoi cet éternel énervement de nos nervures?
La pensée ne construit rien. Le sentiment nous épuise.
Nous serrons les dents et saignons
Sans accoucher.
Nous pianotons sur les choses
Comme une pluie dont chaque goutte
Aurait peur de se faire du mal.
Nous sommes les petits électrisés du monde.
Nous n'entrons pas.
Le carnaval de Nice
Tombé sur le trottoir, l'index tendu vers le côté noir de la vie, ce gant de femme a si bien gardé la forme de la main qu'il a perdue,
Qu'on le ramasse avec autant de précautions qu'une rose ou un oursin et qu'on le pose, à défaut de coussin, sur une balustrade un peu noble, à l'écart des tritons et des calembours.
Mais on ne va pas s'en tirer à si bon compte, car juste à ce moment surgit, d'un tout autre côté, une femme qui hurle en brandissant vers nous, comme un géranium, son poignet tranché.
Du dernier bateau
Simple question de densité
Pour ne pas couler s'unir
Os et poumons
On a les rivets l'étoupe
Et pour lampe le cœur
Et pour soudure les larmes la sanie
Le défaut de la cuirasse
Peut servir d’étau
Et tant pis tant mieux si ça troue ça brûle
Si ça viole les petits secrets
Si ça mélange les Olympes
Et tant pis tant mieux
Si l’ensemble se rouille et cabosse
Il tient il flotte il va
Il est a tu a toi avec la transparence.
C’est à peine si tu discernes…
C’est à peine si tu discernes
Le sens de tes mots
Tant ça hurle et saigne
Jusqu’à changer toutes les emblavures
De la terre et du ciel
En hordes de coquelicots