Jennifer St. Giles

En vérité, jamais un homme ne m’avait regardée en réfléchissant à autre chose qu’à une façon de tirer profit de moi. Je n’étais pas une femme qui inspirait les passions, et j’acceptais ce destin. C’est pourquoi j’avais toujours travaillé, éconduisant les quelques propositions mitigées d’hommes intéressés par un corps chaud.

Ce n’était pas la frayeur qui m’empêchait de dormir. C’était le baiser de Benedict, et les sensations qu’il continuait à faire vibrer dans mon corps. Ma douleur était presque insoutenable. Que faire de mes sentiments de plus en plus intenses envers lui ? Car indubitablement, le fossé nous séparant était trop profond.

L’idée qu’un homme tel que Benedict Trevelyan pût, même brièvement, me trouver désirable, me fascinait. Peut-être le fait d’être prénommée Titania, telle la reine des fées, exerçait-il une influence sur moi, finalement, car je n’avais aucune intention de me sauver comme les belles dames fuyant les démons ailés sur la porte d’entrée de la maison. Au contraire, j’étais immensément curieuse, et aussi désireuse d’étudier cette attirance pour un homme que je l’aurais été d’ouvrir un livre de sciences. Une reine des fées n’allait tout de même pas s’enfuir.Par la porte ouverte, le bureau de Benedict Trevelyan était aussi lugubre que précédemment. Si je devais choisir mon lieu de prédilection à Trevelyan Manor, ce serait le hall, où la myriade de rais colorés créés par les vitraux diapraient les ombres de leur chatoyante beauté.

Son corps entier m’enveloppa tandis que sa bouche s’appuyait contre la mienne. Puis, chaude et choquante, sa langue fit irruption dans ma bouche et il me serra fort dans ses bras. Mes seins s’écrasèrent contre sa poitrine, sa cuisse se colla entre mes jambes, et un brasier liquide fit éruption en moi. Je gémis.Son corps était dur sous le mien, de velours et de fer, comme je m’y étais attendue. Ses mains fermes dans mon dos et son sexe rigide pressé contre ma hanche ne laissaient aucun doute quant à son désir.Au moment où j’allais défaillir, il écarta enfin ses lèvres.— Dieu du ciel… haletai-je.Nous respirions tous deux bruyamment. J’avais l’impression qu’un univers dont j’avais seulement entendu parler venait de m’être révélé.

Il y a environ quarante ans, au Texas, près de la rivière Navasota, vivaient plusieurs familles. Les Parker étaient l’une de ces familles. Pendant de nombreuses années, les hommes blancs se sont battus contre les Indiens, et pendant de nombreuses années, ces derniers ont été en colère contre nous parce qu’ils habitaient ici les premiers. C’était leur terre, leur pays, et maintenant nous l’appelons le nôtre. Au Texas, les guerriers comanches et kiowas étaient très mécontents de cela. Ils ont attaqué le village où habitaient les Parker. Cynthia avait neuf ans, et son frère six ans. Les Indiens ont fait des choses horribles à la famille de Cynthia, ils les ont presque tous tués, et ils les ont enlevés, son frère et elle.

Les observations constatées chez un individu recevant une décharge électrique décrivaient parfaitement ce que j’éprouvais chaque fois que Benedict Trevelyan me touchait, ou même me regardait. Mais, à mesure que l’aube approchait, je compris que je devais absolument résister à ces étincelles. Rien de bon ne pouvait découler d’une telle attirance. C’était un homme riche et éminent. J’étais une femme pauvre et illégitime. Je n’appartiendrais jamais à son monde, et il n’était pas question pour moi de fréquenter un homme en dehors des liens du mariage…

Tels les glands sur les chênes, ils ont besoin de la chaleur du soleil et de la richesse de la terre pour devenir grands et forts. M. Robert est si jeune, si désireux d’être aimé. Il a besoin de rires, de paroles encourageantes et de manifestations de tendresse pour libérer son esprit de l’inquiétude. Comment pourrait-il se concentrer sur ce qu’il doit apprendre si son horizon n’est composé que de nuages noirs ? Quant à M. Justin, il ne croit même pas que ce soleil existe. Je pense que…

La vie nous réserve de grands chagrins, des malheurs et des déceptions qui nous dérobent nos rêves. Mais nous devons savoir lâcher ces douleurs qui nous brisent le cœur, afin de pouvoir attraper les moments de bonheur qui se présentent. Les chagrins sont comparables aux épines des roses, tandis que le bonheur et l’amour sont des fleurs tendres, douces et belles. Si on a les mains pleines d’épines, comment peut-on tenir les roses ?

Mon père, bien que gentilhomme anglais, avait été l’esclave de sa bassesse. C’était un grand séducteur dépourvu de toute éthique. Il avait enlevé ma mère, soi-disant pour la sauver de la ferveur religieuse de mon grand-père qui menaçait tout un chacun des flammes de l’enfer, avant de l’abandonner une semaine plus tard lorsqu’on avait découvert de l’or à Sutter’s Mill. Je ne supportais pas l’idée d’avoir hérité de son immoralité.

Vous êtes déjà intelligent. Et un jour, quand vous serez plus grand, il y aura certaines choses pour lesquelles vous serez très intelligent. Et d’autres pour lesquelles Justin sera très intelligent. C’est la beauté des gens de ce monde. Nous sommes tous différents. Tous. Dans cet immense univers, il n’y a qu’un vous, qu’un Robert comme vous, et cela fait de Robert Trevelyan quelqu’un d’unique.Il