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Citation de DavidG75


[...] si vous êtes encore capable d’honnêteté, vous devez bien admettre qu’à part moi personne n’a aimé l’homme que vous êtes réellement car, en vérité, personne ne vous a connu à part moi. Vous le savez bien, ni votre épouse, ni le garçon que vous avez élevé, ni la fille que vous avez si inconsidérément engendrée ne vous connaissent et je suis sûr que vous vous êtes souvent demandé ce qu’il resterait de leur amour s’ils pouvaient entrevoir, ne serait-ce qu’une seconde, l’homme que vous êtes réellement et que vous vous êtes ingénié à leur dissimuler pendant toutes ces années en ayant constamment peur qu’ils ne finissent quand même par le découvrir et je jurerais, mon capitaine, que vous avez préféré vivre dans la peur et le silence plutôt que de vous risquer à affronter la fragilité de leur amour. Mais moi, je vous connais, mon capitaine, je connais le goût des rancœurs qui vous brûlent la bouche, et vos errements, vos mensonges, je connais l’immensité de votre faiblesse, votre soif inextinguible de châtiment, je connais vos remords parce que je suis votre frère, rappelez-vous, nous avons été engendrés par la même bataille, sous les pluies de la mousson, et jamais je n’ai cessé de vous aimer comme un frère. Oh, je connais vos rêves secrets, mon capitaine, je les connais si bien que j’ai l’impression, certaines nuits, de vous sentir rêver en moi, à moins que ce ne soit moi qui me glisse à vos côtés dans le rêve où nous avons été emportés très loin de la terre ingrate de mon enfance, cette terre qui n’est plus la mienne et n’a jamais été la vôtre, et nous marchons tous les deux le long d’une route désertique, entre Taghit et Béchar, sous la lumière d’un croissant de lune tout jaune suspendu comme un lampadaire dans un ciel sans étoiles, nous marchons au milieu d’objets à moitié recouverts par le sable, qui jonchent le sol à perte de vue autour de nous, des escarpins aux talons cassés, des robes déchirées dont le vent du désert a effacé les couleurs et arraché les broderies de fil d’or, une darbouka crevée, un oud sans corde, des grappes de bijoux noircis, des coffrets de henné et de khôl, des culottes de satin et des morceaux de vaisselle, des breloques porte-bonheur, tout un trousseau qui s’est lentement pétrifié dans le silence de ma mémoire depuis que celle qui l’a assemblé est tombée en poussière, il y a une éternité, mon capitaine, et le vent qui souffle encore si fort n’en fait même plus frémir les reliques exsangues. Vous regardez autour de vous mais aucun de ceux que vous cherchez n’est là, aucune petite fille ne joue dans le sable, aucun petit garçon, votre épouse ne vous attend plus nulle part, et l’homme que vous avez espéré revoir toute votre vie ne viendra pas vers vous et vous essayez de crier son nom dans la nuit mais vous n’avez pas de voix et personne ne peut vous entendre. Il n’y a que moi, mon capitaine, et tout près de nous, au pied d’une dune, un petit dromadaire qui appelle inlassablement sa mère en tendant le cou sous la lune mais qui ne peut pas nous voir car une main pleine de compassion l’a aveuglé afin que nos yeux de loups luisant dans les ténèbres n’effraient plus jamais personne.
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