A une autre occasion, elle a confié que les principes bouddhiques de contrôle de soi et de paix intérieure avaient été déterminants pour l’aider à supporter le temps passé enfermée. Elle « acceptait » les circonstances dans lesquelles elle vivait et essayait seulement d’influer sur les aspects de la vie qui étaient encore sous contrôle. « J’ai tout simplement cessé de me plaindre que ma famille me manque, expliqua-t-elle en 1996. Je n’avais aucune influence sur la situation alors j’ai appris à contrôler mes pensées ».
La maîtrise. Le self-control. Suu Kyi les évoque souvent comme un but de développement personnel. On ne peut pas tout influencer autour de soi. La seule chose qu’on soit certain de contrôler, ce sont ses propres pensées et actions. En soi-même, en un certain sens, on peut toujours être libre. Même dans des conditions strictes, il existe toujours une marge de manœuvre.
Quelques personnes avec lesquelles je me suis entretenu lors de la préparation de ce livre l’ont décrite comme snob et arrogante ; ils ont vu un côté de Suu Kyi qu’elle estime pouvoir montrer quand elle rencontre des gens qu’elle n’aime pas. Mais la plupart déclarent tout l’inverse. Malgré ses origines familiales, son éducation et son statut d’icône nationale, elle traite les gens comme ses égaux.
Durant la campagne électorale, on lui demanda souvent pourquoi elle avait choisi de se marier à un étranger. Moe Myat Thu se souvient d’un meeting dans un petit village du centre de la Birmanie, où la question lui fut posée par un homme qui se trouvait assez loin dans le public. « Il n’y a rien de si étonnant à ça, expliqua Aung San Suu Ki avec un sourire. J’habitais tout simplement en Angleterre quand j’étais en âge de me marier. Si j’avais habité dans ce village, je serais peut-être ton épouse à l’heure qu’il est ».
Les généraux ne savaient tout simplement pas comment gérer une personne dotée d’une sociabilité si désarmante.
« Les soldats de Nippon, que beaucoup avaient accueillis comme des libérateurs, se révélèrent de pires oppresseurs que les Britanniques, écrit Aung San Suu Kyi. Le nombre d’incidents violents augmentait chaque jour. Kempei (le service de sécurité militaire japonais) devint un mot redouté et les gens durent apprendre à vivre dans un monde où les disparitions, la torture et le travail forcé étaient des réalités quotidiennes ».
L’armée japonaise méprisait les Birmans, avec le même racisme qu’elle manifestait envers la plupart des populations asiatiques. De nombreux officiers considéraient qu’un peuple qui s’était laissé coloniser ne méritait pas d’être traité comme des humains et les prisons, qui s’étaient vidées tout de suite après la fuite des Britanniques, ne tardèrent pas à se remplir de nouveau. La torture était monnaie courante lors des interrogatoires, entre autres en suspendant le prisonnier tête en bas et en lui versant de l’eau bouillante sur les organes génitaux et dans le nez.
Il est facile de parler aux gens en Birmanie. Malgré des années d’oppression et bien que la police de sécurité dispose d’un réseau d’informateurs à travers tout le pays, durant mes voyages, les gens se sont toujours montrés enclins à parler de leur quotidien et, jusqu’à récemment, de leur mépris pour les dirigeants du pays.