J’ai personnellement choisi de ne pas essayer de m’inscrire à la suite de Kant et de ceux de ses héritiers qui ont opté en faveur d’une éthique biocentrique, et donc de ne pas reprendre à mon compte le projet qui consiste à faire surgir, comme par magie, la valeur intrinsèque de la capacité des sujets à s’accorder eux-mêmes une valeur et à se rendre compte que d’autres s’en accordent une comme eux. J’ai préféré proposer que nous fondions l’éthique environnementale sur la capacité qui est la nôtre, en tant qu’hommes, d’accorder une valeur aux entités naturelles non humaines pour ce qu’elles sont -indépendamment à la fois des services qu’elles peuvent nous rendre, et de la question de savoir si, oui ou non, elles sont capables de s’accorder une valeur à elles-mêmes.
Les tentatives pour étendre les éthiques occidentales aux entités naturelles non humaines et à la nature dans son ensemble se sont montrées contre-productives, lorsqu’elles se sont appuyées sur des dualismes moraux tels que “le plaisir est bon et la souffrance mauvaise” ou “la vie est bonne et la mort est mauvaise”. Ajoutez-y l’axiome éthique selon lequel, en tant qu’agents moraux, notre devoir est de maximiser le bien et de minimiser le mal. Puis appliquez ces concepts à la nature. Les approches occidentales classiques, étendues telles quelles à la nature, nous obligeraient à pratiquer une division entre les bonnes et les mauvaises créatures et à condamner l’âme même des processus écologiques - les relations trophiques - comme s’ils étaient mauvais en eux-mêmes, puisque la souffrance et la mort son inhérentes aux processus écologiques. Dans la position hua-yen, qui donne en quelque sorte une tournure bouddhiste à la conception chinoise des opposés, c’est-à-dire polaire et non duelle - le plaisir et la souffrance, la vie et la mort sont identiques.