Mano a d’ailleurs eu cette phrase dune grande portée philosophique :
— Le problème avec la bière, c’est qu’il faut toujours pisser entre deux… en fait ta soirée se résume à ça : tu bois, tu pisses, et tu recommence.
Bien entendu, j’ai remercié Mano pour ce grand moment de poésie…
On peut dire ce que l’on veut, on a quand même de la chance d’être dans un pays où l’on peut voter librement, et où on peut faire part de ses opinions sans craindre d’être emprisonné.
Mais parfois on se comporte en enfants gâtés de la démocratie, et on se plaint de ne savoir quoi choisir. Il est vrai que s’il y avait un candidat unique, ce serait plus simple.
Je me demande ce que Mano dirait de tout cela, lui qui a connu le régime du Shah et le régime islamiste, sans doute me répondrait-il avec son sens de la dérision et son humour si bienveillant.
C’est un fait, je ne l’ai jamais entendu critiquer ni le gouvernement du Shah, même s’il n’en partageait pas l’idéologie, ni les opposants religieux dont il savait qu’ils accéderaient au pouvoir : c’était un laïque, et surtout un homme de dialogue, ouvert d’esprit. Je ne devrais pas en parler au passé, d’ailleurs.
L’article revient sur les fastes du régime du Shah, notamment sur les fêtes de Persépolis, dont le spectacle grandiose avait été retransmis à la télévision en eurovision pour célébrer les 2500 ans de l’Empire Perse.
Le coût de cette manifestation, alors qu’une bonne partie du peuple vivait dans des conditions matérielles difficiles, avait contribué à rendre le Shah impopulaire.
Le journaliste s‘interroge sur les conséquences du déclin du régime, et sur la montée des groupes d’opposition au rang desquels figurent des religieux.
Patiemment, posément, avec mille détails, il replaça l’action de de Gaulle sur le plan international et conclut en disant :
— Je comprends que vous le trouviez barbant et dépassé, mais pour comprendre l’action d’un homme, il faut en examiner toutes les facettes et connaître le sens de son action.
Nous fûmes bluffés encore une fois par sa culture, son sens de l’Histoire, et par son indulgence.
— Alors, surtout pas du scotch de 15 ans d’âge, un bon vieux "paddy" fait l’affaire, c’est le principe du grog : on commence par le whisky, un peu de cassonade ou encore mieux, du miel, on verse l’eau pratiquement bouillante, on a joute si on veut un peu de cannelle et on termine, c’est important, par une rondelle de citron piquée de clous de girofle…
Qui veut goûter ?
Variante : l’Irish coffee, bien évidemment, mais qui demande plus de dextérité pour que la crème fraîche battue s’étale à la surface sans tomber au fond. Alors, peu importait l’hiver et le froid : nous avions de quoi nous réchauffer !
Le repas avec Mireille fut un vrai moment d’échange, nous avions tellement de choses à nous dire. Au moment de prendre le café, Mireille se pencha vers moi tout en prenant un sucre :
— Il faut que je te parle de Freddy, puisque nous sommes tous les deux… Je ne sais pas par où commencer. Nous nous aimons profondément, depuis le collège, il m’a dit souvent qu’il m’aimait autant qu’il t’avait aimé, et pour moi cela a toujours été la preuve de son amour. Mais je connais son attirance pour les hommes, c’est difficile à vivre sur l’île… De temps en temps, rarement, il part deux ou trois jours à Nantes. Je sais que c’est plus facile pour lui là-bas, je ne lui ai jamais rien demandé mais je sens que ce n’est pas ce qu’il veut : passer d’un mec à l’autre ne fait qu’accentuer sa frustration… Parfois il devient taciturne, comme absent. Je le sens malheureux, et je le deviens aussi. Je continue car il va falloir que j’aille ouvrir la boutique tout à l’heure… L’annonce de ton arrivée a été un déclic pour lui : quand tu lui as parlé au téléphone, et qu’il a commencé par grogner je ne sais plus quoi, je l’ai vu se redresser, son visage a changé d’expression : il était tellement heureux de t’entendre, et de savoir que tu revenais enfin… Alain, je te demande juste d’être clair avec Freddy : s’il y a quelqu’un dans ta vie, s’il doit te retrouver pour te voir partir, dis-lui, fais-le pour moi. Cela doit te paraître insensé, mais si tu savais combien de fois j’ai pensé qu’il fallait qu’il te retrouve, pour que je le retrouve aussi… Pardonne-moi, tu n’as même pas fini ton café, il va être froid. Nous sommes samedi, demain tu viendras manger à la maison, je t’ai noté l’adresse, tu retrouveras facilement, on passait devant la maison en revenant du Caillou Blanc. J’ai hérité de ma tante et nous sommes partis de l’ancienne maison pour faire une extension, c’est pas mal du tout, je suis sûr que ça te plaira. Ah, et lundi je ne travaille pas, je vais essayer de trouver une variété d’orchidées qui devraient être en fleurs, pour faire une série de photos… Tu voudras m’accompagner ? Je pense les trouver au pied des dunes vers les Conches, côté terre, juste avant les premiers pins. Ne me réponds pas tout de suite pour Freddy, laisse-toi le temps d’y réfléchir, rien ne presse.
Pas le temps de se poser, de réfléchir, de regarder, de méditer, de se laisser porter par la douceur de l’instant présent : on ressasse le passé ou on s’embarrasse avec l’avenir, sans apprécier le moment présent, sans en capturer la magie.
Il a fallu quelques milliards d’année pour que la vie s’épanouisse sur terre, il ne faudrait que quelques secondes d’une mauvaise réflexion pour la détruire, ou du moins l’abîmer sérieusement.
Le temps a passé si vite, enfin, notre temps à nous pauvres humains : que représente la durée d’une vie humaine par rapport au temps de l’univers ? Rien, ou presque…
Transmettre le savoir, passer le témoin, former de jeunes esprits : tu auras un bien beau métier… Peu importe la matière pourvu que la passion soit là.