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Citation de sonatem


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... Il est loin le temps où le lait onctueux, dans ces aubes d'un autre siècle, venait lui aussi chanter au fond d'une bassine. Il est loin le temps où lenteur et attention étaient le credo. Chevaux et charrettes savaient maîtriser la vitesse, et le regard, toujours, puisait ses nourritures le long des routes et des chemins qui enflammaient le coeur. Les sommets étaient des espérances, les vallées de vraies perspectives. Une touffe d'herbe, un arbre somptueux vous enchantaient le sang pour des siècles et ne parlons pas des étroites rivières, si paisibles, qui sommeillaient entre les berges, un chant montait de leur courbe, de leur écoulement si tranquille en dépit des eaux noires qui tourmentaient leur lit. Les suivre était une promesse, un serment, l'aventure des cabanes que nous construirions sous les arbres dont quelques branches frôlaient parfois ces eaux grises où nous cherchions, par des reflets, traces de nos visages, témoignaient pour l'avenir. Nous étions là, à l'affût, de l'inconnu banal et chaque évènement qui surgissait dans nos vies étroites bousculait à jamais le rythme même de notre coeur, faisant ainsi que nous rentrions souvent avec de la joie à la maison. Aujourd'hui, levant les yeux vers ces feuillages anciens, une émotion me saisit qui me fait aimer encore ces berges et ces sous-bois où je me rends parfois, comme si tout cela était un monastère, un ermitage édifié pour moi par le seul génie de la nature.
                           
Je veux ici, dans ces pages incertaines, célébrer la vie, cette sorte de mise en route matinale car, lorsque je serai mort, comme l'automne défunt d'aujourd'hui où feuilles et humus se mêlent à la terre argileuse des contreforts, je ne pourrai plus chanter et me laisser aimanter par cette gloire invisible des étroits chemins, des versants déserts, des surplombs d'où l'on voit si loin, jusqu'au pays de l'étranger qui bruit dans une autre langue que la nôtre. Très jeune, et j'en ignore les raisons profondes, j'ai eu le sentiment aigu de l'évanouissement des êtres et des choses et seule la langue, qu'il m'a fallu conquérir, pouvait en porter témoignage, comme la berge peut témoigner du fleuve, comme le rire peut alerter de la joie qu'il y a dans le coeur des amants, la main retranscrire enfin cette ferveur du silence et d'un bonheur simple, à hauteur d'une journée ordinaire.
                           
Extraits, dans le recueil 'L'Enfance Est Mon Pays Natal' - pp. 250-1
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