Humanité autodestructrice, drogue et alcool, acte irréparable, meurtre et gang, recherche d’une rédemption perdue d’avance, soutien et amour maternelle, jeunesse ruinée et pervertie, délinquance, absence paternelle et rejet maternel, quête de soi, mœurs hippies idéalistes trompeurs et motards sauvages sévèrement hiérarchisés, femme de caractère au passé ravagé et au futur incertain.
« Billie Morgan », est un condensé de tout ça emporté par l’écriture sensible et posée de l’auteure, mais aussi par son expérience personnelle, étant elle-même issue de Bradford et de l’univers punk anglais. On est loin des idéaux hippies, des règlements de compte entre motards, on est en pleine déchéance humaine d’une partie de la population qui ne semble pas vouloir ou pouvoir être aidée, s’enfonçant toujours davantage dans la pauvreté, la solitude, la délinquance et les vices. Joolz Denby dresse un portrait humain, fataliste et réaliste d’une société perdue dans ses gangrènes pourraient – on dire déshumanisantes. C’est à la fois crue et poétique, il y a un fort réalisme qui se dégage de ce roman, une atmosphère glauque et pervertie, une ambiance froide et dénuée aussi d’espoir, il n’y a pas beaucoup de place à la lumière, mais plutôt à un constat consternant et profondément dérangeant. Joolz Denby parle d’alcoolisme, de toxicomanie mais aussi de viols, de rejet, d’abus, de violence, rien de bien joyeux à l’horizon et pourtant c’est empli de sensibilité, de douceur et d’humanité.
L’auteure a choisi une narration de type autobiographie où son personnage, Billie Morgan, en quête de rédemption, traînant depuis des années un lourd secret qui lentement la grignote de l’intérieur, raconte sa jeunesse traumatisante, sa déchéance adolescente, son mariage précipité mais heureux, jusqu’à ce jour fatidique où un geste de trop va ruiner sa vie.
Élevée à Bradford, ville d’Angleterre à l’époque plus pauvre, plus sale et certainement balayées de cancans et rumeurs, où les réputations sont érigées à la langue de bois et aux médisances concurrentielles et bien éloignée du standing londonien, dans les années 60-70, Billie a vécu le départ de son père du foyer. Cette expérience est mal vécue par sa mère qui lui fait payer sa ressemblance et son ancienne complicité avec son paternel au profit d’une sœur, Liz, qui s’accorde nettement plus à sa conception de la féminité. Billie est donc élevée en reclus, brisée et bridées par les reproches « Tu as vraiment le don de te faire détester ». Elle décide rapidement de fréquenter ses hippies « cools » et crasseux de l’époque, une façon de se rebeller contre un dogme matriarcale, qui se révèlent plus nocifs qu’ils n’y paraissent, avant de découvrir la liberté engendrée par un tour de moto et le gang de motard les « Devil’s Own » aux règles intransigeantes. Dans les deux mondes, l’alcool, la drogue et la violence sont monnaie courante, Billie va se confronter et se construire face à tout ça avant que sa vie ne bascule irrémédiablement.
Billie Morgan est pourtant malgré ça un personnage fort, de caractère, qui va avoir du mal à trouver sa place en tant que femme dans ses milieux masculins qu’elle fréquente. Elle s’affirme et sait aussi se faire respecter même si elle a connu les abus et erreurs de jeunesse, elle gère les situations de manière impressionnante. On découvre son évolution de ses quatorze ans à la quarantaine passée. Il y a vraiment un avant le Drame et un après. L’avant est évoqué plus haut, l’après, Billie va tenter de réparer son erreur, de se débarrasser d’une culpabilité étouffante et de ce poids qui l’empêcher d’aller de l’avant dans sa vie. Elle va tout faire pour obtenir une forme de résilience en s’occupant notamment de Jas, une junkie, et de son fils, Natty, qui va suivre la délinquance de la cité mais que Billie va prendre d’affection. Tous ces personnages sont profondément travaillés et ne laissent pas la place à un portrait édulcoré, chacun traînant ses lourdes casseroles.
En bref, un roman intense loin d’être manichéen, c’est sombre, c’est étouffant et révoltant, inévitablement ouvert à l’empathie. L’auteure à travers son portrait de femme dresse un constat alarmant d’une société d’époque où la noirceur semble sans fin et toujours pouvoir descendre d’un cran. Effrayant. Une lecture intelligente qui amène à de profondes réflexions humaines. A conseiller !
Je remercie sincèrement Thomas Bauduret (le traducteur alias l’auteur Patrick Eris) et les éditions du Rocher pour cet envoi.
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