On ne sait jamais qu'une langue, la sienne et encore est-ce rare !
(La faillite de l'enseignement)
Tout cela et surtout le long confinement durant l'hiver, prédisposait aux sentiments déprimants. Nietzsche attribue le pessimisme des Allemands à la langueur hivernale, à l'asphyxie par les poëles dans un air vicié. Que devait être le long hiver de Chamonix pour des gens épuisés et malheureux ? Aussi la croyance à la présence constante du diable; la peur des revenants, la terreur du mauvais sort jeté par les sorciers, ajoutait-elle à leurs souffrances physiques de véritables tortures morales.
Voilà pourquoi le souverain remède est le travail de l'esprit. Lorsque la pensée est fortement occupée, les timides sollicitations de la passion sont arrêtées, impuissantes, au seuil de la conscience. Nulle audience ne leur est accordée. Elles n'ont aucune chance d'entrer que lorsque l'esprit est vide. Il est en effet plus vrai qu'on ne croit que l'oisiveté est la mère du vice. Aux moments de rêverie, ou au moment où l'esprit est inoccupé, la tentation s'introduit dans la conscience : l'attention en se portant sur elle, la fortifie, la précise. L'éveil des souvenirs gravés dans la mémoire s'opère de proche en proche, et le parti de la bête sensuelle va s'organisant jusqu'au moment où la volonté raisonnable abdique, laissant le champ libre aux puissances animales.
Aussi peut-on dire sans crainte de se tromper, que le paresseux, l'oisif, seront très habituellement asservis à leur sensualité, non seulement parce que le vide de leur pensée laisse la conscience ouverte en quelque sorte aux suggestions sexuelles, mais aussi parce qu'un homme, un jeune homme surtout, a besoin de plaisir, de secousses vives. Et lorsque ce plaisir, ces secousses, on ne va pas les demander au travail intellectuel, aux distractions saines et robustes, il est fatal qu'on aille les demander plus énergiques et plus violentes aux habitudes vicieuses ou à la débauche.
C'est pourquoi il ne suffit pas d'avoir l'esprit occupé pour résister aux passions sensuelles, il faut que cette occupation apporte avec elle le plaisir, la joie du travail fécond. Le travail dispersé, l'attention éparpillée sur trop d'objets, n'entraînant avec soi nulle joie, mais bien au contraire produisant une irritation, un mécontentement de soi très manifeste, est presque aussi propice au déchaînement des passions que l'oisiveté même. Seul, le travail méthodique, ordonné, apporte à la pensée un puissant intérêt, un intérêt continu et durable. Il apporte la joie qu'éprouvent les touristes à sentie leur propre énergie et à voir la sommité se rapprocher d'instant en instant : seul aussi il oppose à l'envahissement de la pensée par les suggestions sexuelles une digue de granit.
Si à ce travail joyeux, on joint des habitudes énergiques, si l'on sait rechercher les plaisirs que nous avons énumérés plus haut, il ne reste, pour être sauvé, qu'à donner aux vagues aspirations qu'éveille la puberté, des satisfactions précises. Rien n'est plus facile, à cet âge heureux qui va de la dix-huitième à la vingt-cinquième année que de s'éprendre de la nature, de la montagne, des bois, de la mer, que d'aimer jusqu'à la passion tout ce qui est grand, beau, réconfortant : beaux-arts, littérature, sciences, histoire, sans compter les horizons nouveaux qu'offre au dévouement le développement des idées sociales. Combien le jeune homme qui accomplira un tel programme sera payé de ses efforts ! sa vigueur accrue, son intelligence grandie, sa sensibilité noblement cultivée, lui feront une existence digne d'envie ; les échecs mêmes, parce qu'il en mâchera l'amertume, n'enlèveront rien à sa dignité virile, il saura se relever résolument et recommencer la lutte. La victoire complète n'est guère possible, mais c'est victorieux dans ce combat que de ne point être vaincu souvent et de ne jamais accepter ses défaites de gaieté de cœur.
Le but à poursuivre, c’est donc d’obtenir des efforts d’attention intenses et persévérants. C’est à coup sûr un des plus beaux résultats que puisse obtenir la culture de notre puissance sur nous-mêmes, que la répétition chaque jour courageusement acceptée d’efforts, somme toute pénibles pour les étudiants. Car en eux la jeunesse ardente, débordante, tend à faire constamment prédominer la vie animale sur la vie froide en apparence, décolorée et contre nature de la plupart des travailleurs de l’intelligence.
Une foule n'est accessible qu'à des émotions, elle est incapable d'une attitude d'esprit objective.
Il reste beaucoup à faire pour que la liberté soit complète, parce qu'elle rencontre devant elle les a revenants »: les paresseux trouvent commode d'exploiter l'ignorance et la faiblesse ; les orgueilleux sont intolérants pour ceux qui dépendent d'eux , les avides tuent de travail des enfants, des femmes . La loi ne peut atteindre mille abus de pouvoir quotidiens ; elle demeurera impuissante tant qu'elle ne sera pas appuyée par une opinion publique énergiquement hostile à toute atteinte à la liberté d'autrui.
Chaque enfant doit choisir, sa destinée. La Morale étudie comment les hommes sont peu à de la laideur, de l'ignorance, de la cruauté, de l'injustice, et pourquoi nous devons nous élever nous-mêmes pour nous affranchir de plus en plus de l'hérédité qui nous vient des barbares inhumains qui sont nos lointains parents .
Toute joie vient du travail fait de bon cœur,
du repos qui suit le travail,
de l'étude intelligente
Cette horreur pour l’effort véritable, c’est-à-dire pour la coordination de tous les efforts particuliers en vue d’une fin précise se complique d’une horreur non moins grande pour l’effort personnel. Autre chose, en effet, est la création d’une oeuvre, le travail d’invention, de disposition originale, autre chose l’emmagasinement en la mémoire de ce qu’ont fait les autres. D’ailleurs, si l’effort personnel est si pénible c’est qu’il implique nécessairement coordination. Les deux formes suprêmes du labeur intellectuel sont inséparément unies dans tout travail de production.