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Citation de Charybde2


Pendant un certain temps, il sembla que cette grande canicule était destinée à connaître le même sort que les fusillades de masse aux États-Unis : un crime déploré par tous, puis vite oublié ou remplacé par l’occurrence suivante, jusqu’à ce que la répétition finisse par instaurer une forme de normalité. Cette catastrophe, la pire semaine de l’histoire de l’humanité, était-elle appelée à suivre le même chemin ? Après tout, combien de temps resterait-elle « la pire semaine » ? Et que pouvait-on y faire ? « Plus facile d’imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme » : le vieil adage prenait un sens de plus en plus littéral.
Mais pas en Inde. Les élections suivantes éjectèrent les nationalistes hindous du BJP, parti au pouvoir jugé à la fois inapte à la tâche et en partie responsable du désastre puisque ses représentants avaient vendu le pays aux intérêts étrangers, brûlé du charbon et ravagé les terres tout en aggravant les inégalités. Le mouvement extrémiste RSS, dont le BJP était l’aile politique, tombait enfin en disgrâce auprès des Indiens. Un nouveau parti accéda au pouvoir, une formation composite regroupant des membres de toutes les religions et de toutes les castes, des intellectuels, des pauvres des villes et des pauvres des champs, unis par le grand désastre et par leur volonté de changement. L’élite traditionnelle perdit sa légitimité et son hégémonie tandis que les résistances éparpillées fusionnaient dans un parti nommé Avasthana, mot sanskrit signifiant « survie ». La plus grande démocratie du monde s’engageait soudain dans une nouvelle voie. Les producteurs d’électricité privés furent nationalisés, après quoi l’Inde entreprit de gros efforts pour fermer ses centrales à charbon et les remplacer par de l’éolien, du solaire, de l’hydroélectricité au fil de l’eau, sans oublier d’investir dans le stockage énergétique sans batteries afin de compléter la capacité croissante des batteries existantes. D’autres changements se dessinaient en parallèle. Le pays s’efforça par exemple d’annihiler les pires effets du système des castes ; cette volonté n’était pas neuve, mais s’élevait à présent au rang de priorité nationale parce qu’une part suffisante de la population était prête à s’y atteler. Dans l’Inde tout entière, les gouvernements locaux œuvraient au déploiement de ces réformes.
Ensuite, même si beaucoup le regrettèrent, une faction radicale de cette nouvelle classe politique crut bon d’envoyer au monde un message clair : « Accompagnez ces changements, tout de suite, ou craignez la colère de Kali. » Plus de main-d’œuvre indienne bon marché, plus de contrats juteux, plus de contrats du tout, sans ces changements. Si les pays qui avaient signé l’accord de Paris – et ils l’avaient tous signé – ne se conformaient pas à cette injonction, alors cette partie de l’Inde serait désormais leur ennemie, comptant bien rompre les relations diplomatiques et ouvrir toutes les hostilités possibles à part militaires. À commencer par les hostilités économiques. Le monde allait voir de quoi était capable un sixième de la population du globe, ancienne classe ouvrière du capitalisme mondialisé. L’heure était venue de mettre un terme à la servitude postcoloniale. L’heure était venue pour l’Inde d’occuper sa juste place sur la scène internationale, comme aux débuts de l’Histoire, afin de réclamer un monde meilleur. Puis d’aider à en faire une réalité.
Encore fallait-il savoir si une telle posture deviendrait la politique officielle du pays ou si elle resterait l’apanage de cette faction radicale. De l’avis de certains, cela dépendrait de la volonté du nouveau gouvernement indien de faire siennes les menaces de cette « faction Kali », voire de les mettre en œuvre. Déclarer une guerre économique à l’époque d’Internet, du village planétaire, des drones, à l’époque de la biologie de synthèse et des pandémies artificielles. Rien à voir avec les conflits d’autrefois. Mais le résultat pouvait s’avérer tout aussi violent. En réalité, même si seule la faction Kali s’y lançait, cela pouvait vite s’avérer très violent.
D’autant que tout le monde était capable de jouer à ce petit jeu. Il ne s’agissait pas que des cent quatre-vingt-quinze nations signataires de l’accord de Paris, mais aussi de toute une gamme d’acteurs privés, jusqu’au simple citoyen.
Ainsi débuta une période troublée.
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