"Je hume l'odeur familière d'eucalyptus du bush qui entoure le lac et je ferme les yeux pour mieux entendre le ruissellement de la cascade. Certains jours, son débit est d'une telle violence qu'on ne s'entend même plus penser. D'autres jours comme aujourd’hui, c'est un mince filet d'eau qui goutte dans le lac. Il m'arrive de rester assise ici pendant des heures. C'est le seul endroit où personne n'attend rien de moi, le seul endroit où je ne risque de décevoir personne."
Les émotions ne se rangent pas gentiment en ligne, bien classées, comme ma collection de paires de chaussures. Elles sont plutôt comme les chaussures de ma petite soeur Evie : il y en a partout et dans tous les sens. Impossible de traverser le couloir sans se prendre les pieds dedans.
Il n'y a rien de pire que d'être en face de quelqu'un qui vous force à parler : c'est comme être sous l'eau, commencer à manquer d'air et lutter pour remonter à la surface.
Alors, c'est peut-être ça, se façonner soi-même. Nous décidons qui nous voulons devenir en fonction de ce que nous vivons.
- Tu parleras quand tu seras prête, d'accord ?
J'acquiesce. J'ai quand même l'impression de faire des promesses que je ne pourrais pas tenir. Pourquoi ne puis-je vivre dans un monde où personne ne parlerait et où on entendrait que le chant des oiseaux? ...
Je ne suis jamais à court de mots. Je sais toujours exactement ce que j'aurais envie de dire, mais les mots ne sortent pas. A la simple idée de parler, j'ai la gorge qui se serre et la bouche qui se dessèche...
Je la regarde partir puis me retourne vers nos arbres. Celui de West est légèrement plus grand et plus fourni que le mien. Ils sont tellement proches l'un de l'autre que leurs branches s'entremêlent. J'aurais du mal à dire à quel arbre appartient quelle branche. Il y a soixante-dix-sept mille arbres à Melbourne, et les deux nôtres sont côte à côte. C'est impossible, incroyable.
Exactement comme West et moi.
"Tu ne ressembles à personne d'autre. Mais j'ai l'impression de te connaître depuis toujours."
Tous les matins, j'ai l'impression que c'est aussi dur que le jour de la rentrée...
Je ne me lasserai pas de toi. Tu es mon infini, Pi.