Après avoir grimpé les marches de la minuscule tour qu'elle habitait, la souillonne claqua inutilement la porte. Tête la première dans son oreiller, elle tenta de cacher sa peine. Elle chercha sous le tissu pour en retirer une amulette en bois noir sertie d'une pierre bleutée, dernier souvenir de sa mère ivoirienne ; et seul objet qu'elle avait réussi à récupérer lorsque son infâme belle-mère avait brûlé ses vieilles affaires, une fois le corps de son mari mis en terre. De tout ce que Cendrillon pouvait lui reprocher, cette destruction était la pire.
La souillonne n’en revint pas: à côté de ses sœurs, elle ne faisait pas tache. Elle ne faisait plus tache. Là, elle se sentait légitime, en droit de posséder la beauté qui était sienne. Pas besoin de continuer à se demander si elle méritait de vivre, de se trouver importante; il ne lui semblait plus primordial de se comparer à qui que ce soit. Elle savait.
– Bah, pourquoi tu fais la moue? l’interrogea la cadette.
– Je… Je crois que je suis triste. D’avoir attendu tant de temps pour me rendre compte que j’avais… de la valeur.
– Oh? Tu ne me transformes pas maintenant? Et les… chevaux?
– Tu lis trop de contes pour enfants, ma pauvre. J’ai pas le temps de te relooker comme ça. Et quant aux équidés… T’as des souris, des chiens, des grenouilles ou tous autres animaux malheureux à m’offrir?
En bas, Citrouille et son attelage vollailesque trépignaient. Cendrillon s’élança… puis s’étala de tout son long. Aucun garde ne bougea. Il n’y eut pas d’autre bruit que celui du choc provoqué par la chute de la maladroite princesse d’un soir.
Elle compta en silence, histoire de déterminer combien de secondes de paix elle gagnerait aujourd’hui. Cinquante-deux.