À Lyon, dans la Saône, il y a des feux de ruisseaux plein le lit de la rivière. Jean-Pierre lit les reflets. Certains ressemblent à des papillons d'argent ou des lézards la bouche ouverte. Puis, quand l'état d'âme change, ce sont des lotus ou des bouches, des couronnes de roi, des yeux brillants d'amour, larges et plats avec des dentelles comme sur une robe de mariée, des multitudes de ballerines, des bébés en diamant fondu qui dansent sur des soucoupes volantes, des feuilles de palmiers avec des Bouddhas assis dessus, des fiacres, des sabres avec des marguerites, des fleurs de ganja et des bateaux de Magellan, et d'autres formes indéterminés, des régimes de bananes multicolores, des tours Eiffel couchées en brins de rameaux, des petits enfants en sucre, ou encore les empreintes digitales d'une géante…
Rien ne me manquait. C'était parfait. Je ne pensais à rien d'autres qu'aux étoiles la nuit et au soleil le jour. Je ne manquais de rien jusqu'à ce jour où j'ai violemment ressenti le froid. Je gelais. La police me déplaçait sans cesse. C'était le début du mandat de Sarkozy, il avait une politique spéciale avec les Roms et les Sans-Abris. Après trois ans de rue donc la police me disait de circuler parce qu'on ne devait pas dormir ni dans les rues ni dans les allées. J'ai fait ma première manche avec Bernard Le Prophète. On ne se parlait pas. Il a une plaque commémorative au métro Saint-Jean. Il est mort de froid. Et je suis resté là. Seul.
Jean-Pierre sait qu'il est fou. Évidemment, il sait. Il sait aussi que je le sais et que c'est la vie. La folie n'est pas une maladie, mais une misère de la conscience. Elle donne des fleurs vénéneuses et des coquelicots. Les coquelicots sont rares. Ce sont eux qui ont qui font la beauté d'un champ. Si la maladie mentale, quelle qu'elle soit, détruit la psyché, elle peut cependant ouvrir le cœur. Les anomalies de la tête donnent des anomalies du cœur.
Quand je suis entré à l'hôpital psychiatrique, je ne savais pas ce qu'était le monde, si ce n'est paradis, enfer et drogue simultanément, puis j'ai rencontré les malades médecins, les médecins malades et c'est en sortant que j'étais normal : le monde est en fait un hôpital psychiatrique, c'est-à-dire la norme.
Je voudrais un prix Nobel pour Gandhi, un bébé sous le sapin pour la mère Noël, un temple de paix à la Maison Blanche, un peu de respect pour le peuple tibétain, des paires de chaussettes inusables en animal imaginaire pour les Roms, un casque audio pour écouter la musique du soleil pour les clochards, des starlights pour que les drogués voyagent dans les étoiles, un sauna de Jouvence et une petite pipe pour les pépés, des coussins volants pour le peuple zapatiste, dix mille ans de congés payés pour les ouvriers du monde, des nuages à vœux pour les enfants qui cachent encore ce qu'ils veulent demander.