Kurt : Entretien avec
Laurent-David Samama .
Entretien avec
Laurent-David Samama sur son premier roman : "
Kurt" (Plon 2017)
« C’est aussi cela, Poulidor ! Un perdant magnifique, un sempiternel vaincu qui n’abandonne jamais. Peut-être un surhomme, quelque part… En tout cas, un héros du quotidien ! Voilà l’origine de la ‘poupoularité’ de l’Éternel Second sur les routes du Tour de France. Il ne survole jamais. Rien ne lui est acquis. Il n’a pas de don. Son expérience quotidienne est celle du travail. C’est la France qui se lève tôt, celle qui va au turbin. C’est le pays qui, par l’effort, tire un bénéfice de son labeur. » (p. 39)
Comme si vedettes du X et footballeurs étaient résumables en quelques tags . C'est ainsi que l'on pourrait mettre en regard l'intérêt du monde du football pour la figure du jeune prodige avec l'euphorie du X autour des actrices teenagers . Autant de corps pas encore tout à fait adultes qui font fantasmer recruteurs et autres voyeurs en quête de chair fraîche , docile et surtout malléable . De même qu'à l'autre bout de la chaîne , on retrouve les MILF , et autres mature semblables à de vieilles gloires . À savoir : d'autres corps , d'autres acteurs , actrices , sportifs et sportives dont on vante désormais l'expérience après en avoir pompé toute la sève et usé la fougue...Dans le foot comme dans le porno , on classe désormais systématiquement les humains par mots-clés . Une manière comme une autre de formater l'art et de construire les imaginaires . Il faudrait alors se demander selon quels schémas et dans quelle réalité grandiront les jeunes découvrant football et porno dans les années de l'internet haut débit , du supermarché des corps et de la profusion d'écrans . Était-ce mieux avant ? On serait tenté instinctivement de répondre par la positive , car à choisir , mieux vaut grandir avec les représentations mentales que sont Platini , Giresse , Rocheteau , Richard Allan et Brigitte Lahaie , chacun laissant , dans leur genre et sur leurs terrains , une place symbolique mais néanmoins capitale au développement de l'imaginaire .
Car même s’il y a souvent de la souffrance dans l’affaire, il y a aussi du positif : échouer nous complexifie... (p. 9)
Il faut mesurer le chemin parcouru et l'ampleur de la révolution numérique . Désormais , les nouveaux joueurs , c'est d'abord sur vidéo que nous les découvrons . Grâce à des florilèges mis en ligne sur YouTube et des images diffusées sitôt la rumeur d'un transfert dans les tuyaux . Ce n'est que dans un second temps , une fois que le club et son chargé de communication l'auront décidé , que l'on découvrira le nouveau joueur centre de l'intérêt médiatique dans la presse écrite . Voilà le retournement : L’Équipe et France Football , qui jadis décrochaient la première interview du nouveau venu , se révèlent aujourd'hui dépassés . En 2021 , ils arrivent plusieurs heures voire plusieurs jours après la bataille . Et mine de rien , cela change tout !
Pourquoi le sujet vous intéresse-t-il tant ? parce qu’il fait s’entrechoquer l’intime et l’extérieur, nos sentiments les plus profonds et la réalité la plus froide. Perdre, c’est ce confronter au monde tel qu’il est. Sortir, d’une certaine façon, de ses constructions mentales, de la théorie, pour expérimenter l’influence des autres et ses propres limites sur le cours de son existence. C’est également un lien au temps.
(…)
La question est de savoir ce que l’on fait de ses déconvenues, faillites et autres drames personnels. Comment on les convertit en expérience. Car même même si il y a souvent de la souffrance dans l’affaire, il y a aussi du positif : échouer nous complexifie…
P14
Il est aujourd'hui complexe de se démarquer dans le milieu ultra-concurrentiel du football sans posséder d'atout majeur . Finalement , cela ressemble trait pour trait aux problématiques d'image des stars du X cherchant , elle aussi , à faire valoir leur singularité , perdues dans un océan d'acteurs et d'actrices où seul le spectaculaire paie . On le sait : dans le porno actuel comme dans le foot , il y a beaucoup d'appelés , mais peu d'élus . Seules quelques vedettes très identifiées du grand public parviennent à émerger de l'immensité de chair , de muscles , de seins , de ballons , de vagins , de pieds , de fesses et de pixels...
« Parfois, la défaite n’apporte rien, elle fait juste beaucoup de dégâts. L’enjeu, c’est donc de savoir perdre, d’apprendre à perdre avec élégance. C’est perdre mieux. Perdre avec autorité. Perdre avec dignité. » (p. 74)
« Ne nous voilons pas la face : perdre fait mal, fâche et abîme. C’est une claque. Le surgissement du réel dans un scénario que l’on imaginait idéal. » (p. 12)
Les moments de défaite nous font faire des choses que nous n’aurions jamais fait avant, mais qui correspondent à notre état d’esprit du moment.
C’est en cela que la défaite revêt un caractère plus authentique que la victoire : il n’y a plus de filtre quand l’échec survient ; on parle, et on agis soudain avec le cœur, avec les tripes, on enlève le surmoi et les conventions.
P65
« La défaite m’intéresse particulièrement, car tout le monde perd dans la vie. Dès lors, la question est de savoir ce que l’on fait de ses déconvenues, faillites et autres drames personnels. Comment on les convertit en expérience. Car même s’il y a souvent de la souffrance dans l’affaire, il y a aussi du positif : échouer nous complexifie… » (p. 8 & 9)