Citations de Léon de Montesquiou (29)
Le peuple ne voit jamais; il sent. Le gouvernement doit voir.
Balzac
[Quand Bonald parle de « volonté générale »]
Simplement il considère que la société comme tout être vivant possède l’instinct de conservation, la volonté de vivre, et c’est là ce qu’il appelle volonté générale.
Bonald pose d’abord en principe – principe dont l’expérience des siècles a démontré la justesse – que le mariage est la société naturelle la plus favorable à la propagation de l’espèce humaine. Il déclare ensuite qu’il n’y a de mariage véritable que là où il y a union indissoluble, et que cette condition est si essentielle que de la dissolubilité du lien conjugal ou de son indissolubilité dépend en France et partout le sort de la famille, de la religion et de l’État.
En pratique, le règne de la loi par le suffrage universel aboutit, en effet, à mettre le pays sous le joug d’une minorité composée des moins scrupuleux, des moins corrompus, des plus corrupteurs, de ceux qui hésitent le moins à spéculer sur les appétits et les sentiments les plus bas, et à les exciter, bref, sous le joug des pires, qui pour se maintenir au pouvoir pratiquent, sous le nom de liberté, l’intolérance du bien.
C’est au contraire l’individualisme qui est l’écrasement de l’individu, car l’individualisme aboutit à émietter tous les groupements, et à laisser un pygmée, le citoyen isolé, en face d’un colosse, l’État.
La liberté révolutionnaire consiste pour chacun à n’obéir qu’à sa raison et à sa conscience. [...] Comment cela se peut-il réaliser sans porter atteinte à la liberté de chacun ? La Révolution solutionne la question ainsi : sur la manière de régler les rapports sociaux, chacun exprimera sa volonté. Cette volonté de chacun exprimée formera la loi.
« Les lois sont des rapports nécessaires qui dérivent de la nature des êtres. » [Montesquieu]
Il y a, dans cette définition adoptée par Bonald, un mot, le mot nature que l’on retrouve souvent dans le vocabulaire révolutionnaire, et notamment chez Rousseau. Mais ce mot a chez Rousseau et chez Bonald des acceptions absolument différentes, et même contradictoires.
[...] J.-J. Rousseau, « le romancier de l’état sauvage, le détracteur de l’état civilisé », écrit Bonald, « place l’état naturel de l’homme individu ou social, dans l’état natif ou imparfait. De là sa prédilection affectée pour les enfants, au moins pour ceux d’autrui, et son admiration insensée pour l’état sauvage. »
Pour Bonald, au contraire, l’état naturel est opposé à l’état natif ou imparfait, l’état naturel est l’état parfait, et l’état parfait est l’état de société.
Le gouvernement le plus en harmonie avec la philosophie révolutionnaire est la République démocratique, qui prétend remettre une part du pouvoir à chaque individu. Au contraire le gouvernement en harmonie avec la philosophie sociale de Bonald est la monarchie héréditaire. Cette philosophie considère, en effet, la société comme un corps général dont l’existence embrasse le passé, le présent, l’avenir. L’homme meurt ; la société vit et se maintient à travers les générations qui se succèdent. Or seule la monarchie héréditaire offre ce caractère de durée, d’immortalité.
Dans la république démocratique, au contraire, la société n’est plus un corps général, mais simplement une réunion d’individus ; la volonté en général n’est qu’une somme de volontés particulières. En un mot tout s’y individualise, tout s’y restreint et s’y concentre dans le présent, d’accord en cela avec la doctrine révolutionnaire.
Considérant non l’individu isolé, mais l’homme en société, Bonald voit en lui non des droits, mais des devoirs.
Une autre conséquence de l’individualisme, c’est que cette doctrine exaltant l’individu au détriment du corps social est portée à ne voir dans l’individu que des droits. Et comme elle regarde tout encadrement des individus comme une diminution de leurs droits, de leur liberté, elle est amenée logiquement à préconiser l’émiettement de la société.
La philosophie révolutionnaire isole, abstrait l’homme de la société, et c’est sur cette abstraction qu’elle raisonne. [...]
L’homme se fait lui-même, déclare l’individualisme. La société fait l’homme, riposte Bonald. Tels sont les axiomes de la philosophie de l’anarchie et de la philosophie de l’ordre. [...]
Prétendre que l’homme se fait lui-même, c’est prétendre que ce qu’on trouve chez lui de bien moral, il le tient de lui-même, que ce bien existe naturellement en lui. C’est là la pensée de tous les révolutionnaires. Mais si le bien existe naturellement dans l’homme, d’où lui vient le mal ? Le mal lui vient du dehors, il lui vient de la société. [...] La conséquence logique d’un tel axiome, c’est la haine, le dénigrement, la destruction recherchée de la société. [...]
Nous sommes mauvais par nature, bons par la société. C’est la thèse de l’ordre. Elle aboutit, en effet, logiquement, à la recherche de la consolidation et du perfectionnement de la société.
[...] il [Bonald] a versé dans une certaine mesure, à un moment de sa vie, dans la Révolution. Je veux parler de cette approbation du gallicanisme que nous trouvons dans ses premiers ouvrages, approbation où l’a sans doute entraîné sa grande admiration pour Bossuet. Dans sa Théorie du pouvoir, nous le voyons notamment déclarer que « le pape a au-dessus de lui une autorité extérieure, celle du concile général ; » que « ce n’est pas au pape, mais à l’Église en corps qu’appartient l’infaillibilité ». Ceci ne cadre pas avec tout le reste de son œuvre. Il est d’ailleurs nécessaire de remarquer qu’il est revenu plus tard de son erreur, et je croirais assez que la lecture de Joseph de Maistre n’a pas été étrangère à ce revirement.
Bonald défendant la famille, s’attaque aux deux principales lois qui l’ont détruite, le partage égal et le divorce.
Pour Bonald, c’est une erreur de distinguer deux époques dans la Révolution, afin, comme le font les libéraux, d’en approuver l’une et condamner l’autre. Il n’est permis de distinguer deux époques, qu’à la condition de regarder la seconde comme un enchaînement logique et fatal de la première. En d’autres termes, 93 n’est pas une déviation de 89. Il n’en est même pas un effet excessif, il en est un effet normal. [...] « Il est naturel que le pouvoir, jeté au peuple comme une largesse, ait été ravi par les plus audacieux, et qu’énivrés de leur nouvelle fortune, des hommes, élevés des derniers rangs au faîte du pouvoir, n’aient gardé aucune modération dans son exercice. » [Bonald]
Ainsi donc, le déclare Bonald, la nature seule doit faire des lois, la nature seule a le pouvoir législatif.
Or comment la nature fait-elle des lois ? De deux manières. D’abord, [...] elle introduit dans la société des coutumes qui acquièrent force de lois. Et Bonald nous rappelle qu’autrefois en France toutes nos lois politiques n’étaient que des coutumes dont on ne pouvait assigner l’époque ni fixer l’origine.
Ensuite la nature indique à la société le vice d’une loi défectueuse ou incomplète, par le caractère des troubles dont celle-ci est agitée ; comme dans le corps humain elle indique l’espèce de remède par le genre de la maladie.
Le pouvoir de droit divin, le pouvoir légitime sera celui qui se trouvera constitué suivant les lois naturelles, celui qui aura « ce qu’il faut pour remplir la fin de la société, qui est de conduire les hommes à la perfection des lois et des mœurs ». Aussi lorsque Bonald déclare la monarchie de « droit divin », il entend par là qu’il la considère comme le gouvernement constitué par excellence pour remplir la fin de la société.
Ainsi Bonald donne comme fondements aux lois et principes qu’il nous propose la raison et l’expérience, avant d’invoquer à leur propos la volonté de Dieu. Pourquoi la volonté de Dieu ? Parce que les lois auxquelles la société doit se conformer pour vivre, c’est Dieu, nous déclare Bonald, qui en est l’auteur, car il est l’auteur de tout ordre dans la nature. Obéir à ces lois, c’est donc obéir à Dieu.
La tolérance de l’erreur est de l’indifférence à l’égard de la vérité, du beau, du bon, de la perfection. Voilà ce que Bonald nous montre admirablement.
Et le travail [...] que je veux tenter, c’est d’extraire, encadrer, faire ressortir un certain nombre des belles pages de Bonald, qui se trouvent perdues dans des livres où il est probable que peu iront les chercher.
En analysant Bonald, je montrerai qu’il est de son côté un maître pour les esprits les plus réalistes.