Lise Marcy

Nous avons une épée de Damoclès au-dessus de notre tête, nous faisons tous des efforts pour redresser la situation et retrouver une atmosphère plus sereine. Et je dois user de maintes méthodes, pour obtenir toujours plus d’eux sans qu’ils ne se plaignent. Nous n’avons malheureusement pas le choix, si nous voulons maintenir le cap. Mais le stress permanent qu’occasionne cette situation n’est pas toujours facile à vivre tous les jours pour nous tous.

— Je n’avais pas le choix, me confie-t-elle.

Elle regarde dans le vide. Je ne sais pas si elle est triste ou si elle est juste blasée.

— Vous voulez en parler ?

— Ne vous forcez pas, si n’en avez pas…

— Quand j’ai appris à mes parents que j’étais enceinte, il voulait que j’avorte. J’ai refusé. J’avais d’ailleurs fait en sorte qu’ils ne puissent me forcer à le faire en attendant les quatre mois de grossesse pour leur en parler. Ils l’ont très mal pris. Vous imaginez, les qu’on dira-t-on les dérangeaient. Ils ne me l’ont pas pardonné. Le lendemain matin, ils me mettaient à la porte.

Son ton est grave. Je me rapproche et lui prend les mains. Elle ne les retire pas des miennes. Il y a comme une décharge. Je ne sais pas si elle l’a perçue. Elle me fixe et d’un hochement de tête, je l’encourage à continuer.

— Pour aller où ?

Je suis contente qu’il ne se rende pas compte que c’est lui qui me fait cet effet-là, je me sens terriblement attirée par cet homme. Cette tenue décontractée - jean et polo à manche longue - lui va aussi bien que ses costumes. Le polo fait ressortir les muscles saillants de sa poitrine. Oh mon dieu, quel homme magnifique ! Il n’y a pas de termes assez forts pour le caractériser. Et ce jean qui épouse parfaitement ses cuisses musclées ! Comment un homme peut-il être aussi sublime ? je me questionne.

J’ai face à moi, un homme dépité. Je me raidis, déglutis à nouveau, la gorge sèche. Je n’ai pas les mots. Pour une fois, je suis scotchée. Je ne m’attendais pas à ce qu’il m’annonce cela. Pas ainsi du moins… Si j’ai observé tous les changements s’opérer dans son corps, j’étais loin d’imaginer qu’il évoluait de cette manière dans sa tête. Je le désire aussi, à n’en pas douter, cependant, je n’ai pas encore envie de passer à l’acte, pas tout de suite en tout cas.

Il est à couper le souffle, je parie que toutes les femmes qui bossent dans ces locaux sont secrètement amoureuses de lui. Pourtant son regard est triste. Ce qui se comprend, j’ai appris, quelques mois après la conférence, le décès tragique de sa femme. Un cancer foudroyant. Les paparazzis étaient unanimes : ce nouveau célibataire ne se remarierait jamais car aucune femme ne pourrait refaire battre son cœur comme l’avait fait sa femme.

Elle semblait avoir des résultats excellents sans travailler, alors que moi, je bossais comme une malade pour avoir des résultats équivalents aux siens. Et elle passait tout son temps en boîte de nuit ! Elle m’horripilait à un point, qu’un jour, je lui ai dit qu’elle était superficielle et qu’elle n’était qu’une fille facile. J’avais ajouté qu’elle n’avait pas besoin de faire des études car elle rencontrerait forcément un homme riche et assez bête pour l’épouser. Elle me regarda d’un œil noir et je vis une larme couler de ses yeux. Je m’en étais voulu et m’étais excusée car cette fille semblait inébranlable. Il était difficile de l’imaginer pleurer. Après quelques semaines à apprendre à la connaître, elle m’avait annoncé que ses parents avaient été trop sévères, mais surtout peu présents pour elle, lorsqu’elle était enfant. Tous deux étaient de grands psychiatres à Paris et très occupés. Elle voulait s’amuser un peu. Elle était surdouée et détestait l’école mais comprenait tout tellement facilement qu’elle en profitait et s’en vantait. Avec le temps, je m’étais rendu compte qu’elle était super sympa et qu’elle avait le cœur sur la main.

Nous réglions tous nos différents par avocats interposés. Là, nous devons être tous les deux présents puisque qu’il s’agit de la signature des papiers qui officialiseront notre divorce. Philippe est un chirurgien-dentiste qui gagne très bien sa vie et possède son propre cabinet dans le Seizième arrondissement. Malgré cela, il a tout tenté pour me laisser le strict minimum au début. Il m’a traitée comme une moins que rien par l’intermédiaire de son avocat, Maître Donon. Il faut que je reconnaisse que celui-ci, bien qu’il soit un enfoiré, a une belle gueule. Il doit certainement aimer les petites jeunettes, lui aussi. Afin de ne rien me laisser, ce dernier a insisté sur le fait que je ne travaillais pas et que je n’avais pas investi dans quoi que ce soit. C’était peu connaître Alima, de croire que mon ex et son avocat auraient gain de cause. Elle s’est battue pour que j’obtienne un maximum de dédommagement. J’ai encore du mal à réaliser qu’après avoir donné à Philippe dix-huit ans de ma vie et deux enfants, je subisse cela de sa part. Me quitter passe encore, mais me traiter de cette façon !

Elle n’est pas particulièrement belle mais elle a un charme fou, je suppose qu’elle doit plaire aux hommes. Elle est brune, a des cheveux longs tirés en queue de cheval et son maquillage fait ressortir le noir de ses yeux. Elle semble bien proportionnée physiquement et porte un tailleur blanc avec un pantalon, idéal pour la saison, ainsi que des talons hauts. Comment arrive-t-elle à marcher avec ces chaussures ? Je me le demande. Je me rappelle que moi, je porte des petits talons pour être sûre de ne pas être embêtée durant ma journée par des douleurs aux pieds qui seraient mal venues. Elle doit en avoir l’habitude. Elle a un regard froid, cette femme ne me semble pas sincère. L’avenir nous le dira. Je me demande si elle a eu droit aux faveurs de mon patron, et y songer me fait un pincement au cœur. Je finis par me souvenir qu’elle m’a posé une question et reviens pour la énième fois, depuis mon réveil, à la réalité.

Je ne me serai jamais doutée qu’un homme aussi beau et aussi sûr de lui puisse être aussi imbu de sa personne. Pourtant il n’en avait pas l’air quand il était venu avec sa femme à la conférence. Il semblait tellement différent à cette époque. Son regard est beaucoup moins vivace qu’avant, il semble même éteint. Cela me chagrine pour cet homme. J’ai senti une certaine attraction entre nous lorsqu’il me parlait. Avais-je rêvé ? Etait-ce réel ? Je n’en savais rien et je ne sais pas si un jour, je le découvrirais. Cet homme est avec certitude, une énigme pour moi. Je suis déçue de savoir qu’il ne sera pas là cette après-midi. Mais je sais qu’un avocat a de nombreux rendez-vous d’affaire, et plaidoiries en extérieur. Je ne le verrai probablement pas très souvent au cabinet. Cela est préférable. Cet homme est dangereux pour moi. Je le sens bien que je ne peux expliquer cette conviction.
 

Elle est noire comme moi, originaire de la Jamaïque. Elle est jolie et a des dreadlocks. Elle est grande, mince et porte des lunettes ou des lentilles de toutes sortes de couleurs. Il y a deux ans lorsqu’elle a postulé, elle était fraîchement diplômée. L’expérience lui faisait défaut. Je voyais son potentiel. Elle avait un quelque chose, qui me plaisait. Elle avait confiance en elle. Cela était important pour moi. Elle s’est avérée être un excellent choix. Elle fait son travail avec beaucoup de sérieux. On peut compter sur son implication et sa discrétion. Elle est rigoureuse, ponctuelle et elle est très consciencieuse.
Je soupçonne quelques personnes d’avoir pensé, que je l’ai embauchée parce qu’elle est noire alors que sa couleur n’a pas du tout joué sur ma décision. Maintenant qu’elle a fait ses preuves, personne ne remet en cause ses capacités et encore moins mes choix.