Quatre éventualités peuvent être envisagées : ou bien les problèmes dont discutent les Métaphysiciens sont des pseudo-problèmes dus à un mauvais emploi du langage; ou bien ce sont des problèmes qui transcendent actuellement nos moyens d'investigation, mais tels qu'on puisse concevoir des méthodes propres à les résoudre dans l'avenir ; ou bien ce sont des problèmes doués de sens, mais à jamais insolubles étant donné les limites de notre connaissance ; ou encore ce sont des assertions qui n'ont sens que pour les privilégiés de certaines expériences incommunicables à autrui, de soi-disant révélations sur l'authenticité et l'interprétation desquelles, faute de critères objectifs, on est incapable de s'entendre.
p. 211 : Invention de l’idée de progrès :
« Au XVIIe et au XVIIIe siècles, pour la première fois, l’humanité en Occident cesse de se tourner vers son passé en regrettant un paradis perdu, un âge d’or révolu, quelque Atlantide engloutie. Pour la première fois, elle regarde l’avenir avec confiance, et inverse la flèche du temps. »
p. 91 : « La meilleure définition qu’on ait donnée [des Lumières] est celle d’Emmanuel Kant dans un article mémorable de la Berlinische Monatschrift de 1784 intitulé Was ist Aufklärung ? : « Qu’est-ce que les Lumières ? C’est l’émancipation de l’homme de l’état de de tutelle dont il était lui-même responsable. Cet état de tutelle, dont il porte la responsabilité, procède, non du manque de raison, mais d’un manque de décision et de courage pour se servir de sa propre raison sans être dirigé par autrui. Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ta propre raison, c’est la devise des Lumières. »
En cherchant à justifier, à coup de citations bibliques, la mort qu'ils n'avaient pas prévue et la résurrection inattendue de Jésus, les premiers chrétiens se sont trouvés élaborer toute une superstructure dogmaique qui ne se trouvait pas dans les "dits" de Jésus et dans les premiers récits de sa vie. (chap XV)
L’Ockhamisme, en contrepartie, favorisa la science expérimentale, en l’affranchissant du double joug de la Métaphysique d’Aristote et de la Théologie. Dès le XIIIe siècle, un fort courant empiriste s’était développe à l’Université d’Oxford, moins régentée que celle de Paris dont les papes avaient voulu faire le centre des études théologiques pour le monde entier. Influencé par la lecture de l’Epistola de Magnete de Pierre de Maricourt, qu’il appelle le maître des expériences, dominus experimentatum, Roger Bacon énonce le critérium de la science moderne (…) au siècle suivant, le philosophe irréfragable, Guillaume d’Ockham, surnommé justement le Hume du moyen âge, s’efforce, sur les ruines du réalisme ontologique, de construire une philosophie empiriste, au nom du principe posé par Roger Bacon. (pp. 152-154)
p. 53 : « Le service essentiel rendu par la religion aux individus est d’avoir rendu tolérables des existences qui ne l’étaient pas […] »
p. 264 : « Une des grandes satisfactions au soir d’une vie, c’est le sentiment d’avoir contribué pour une part à l’immense effort de l’humanité pour rejeter les interdits des dieux jaloux, surmonter les fatalités prétendues naturelles, redresser les injustices supposées statutaires. »
p. 215 : A propos de l’idée de gouvernement idéal : Rougier cite Buffon qui "esquisse dans Les Epoques de la nature en 1779 une immense fresque sur le développement de la terre dont l’homme est le couronnement" :
« Y a-t-il une seule nation qui puisse se vanter d’être arrivée au meilleur gouvernement possible, qui serait de rendre tous les hommes, non pas également heureux, mais moins inégalement malheureux, en veillant à leur conservation, à l’épargne de leur sueur et de leur sang, par la paix, par l’abondance des subsistances, par les aisances de la vie et les facilités de leur propagation ?»
p. : 119 : « Maupertuis, dans son Système de la Nature, reprend les mêmes idées [que Buffon sur l’évolution des espèces], en y ajoutant comme un pressentiment de la génétique : « Les particules élémentaires [on dirait aujourd’hui « molécules »] qui constituent l’embryon proviennent de la structure correspondante des parents et conservent en quelque sorte le pouvoir de leur forme précédente… Nous pouvons donc expliquer aisément comment de nouvelles espèces apparaissent… en supposant que les particules élémentaires ne se présentent pas toujours dans l’ordre qu’elles avaient chez leurs parents, mais que beaucoup d’entre elles créent accidentellement des différences qui, en se multipliant et en s’accumulant, ont eu pour résultat la variété infinie des espèces que nous voyons maintenant. » »
p. 247 ( dernier paragraphe du livre): mais, seules les méthodes scientifiques, l'habitude de baser les convictions sur des observations et des raisonnements aussi impersonnels que possible peuvent créer l'entente entre les esprits et l'unification des volontés par-delà tous les préjugés et les fanatismes.