Il relatait une réalité que le public européen ignorait, bercé qu'il était par les progrès de la "civilisation" en terres lointaines et par le bonheur de consommer sucre, cannelle et café.
Extrait de la préface de Eric Dussert
Maintenant regardez, au sein de cette richesse et de cette abondance, ces pauvres nègres sont nus, décharnés, qui meurent de faim, et qu'on pousse au travail tels que des animaux ! Regardez surtout, dans l'enceinte de l'habitation, ces trois hommes attachés là, le ventre contre terre, les membres étendus, et que d'autres, avec de longs fouets, frappent à coups redoublés, excités qu'ils sont par les menaces du régisseur et du maître ! Leur sang ruisselle ! leur chair vole en lambeaux ! Mais pas un cri, pas une plainte !
Frême n’avait conservé qu’une idée confuse de ses parents, de sa patrie. Enlevé fort jeune encore de l’Afrique, où il naquit, il ne portait à la figure, ni sur le corps, aucune marque de tatouage, marque distinctive de caste en usage dans ce pays, et il ignorait de quelle partie, de quelle peuplade ou tribu africaine, il était. Seulement, il se rappelait, comme la réminiscence d’un rêve lointain, que son père devait être un chef de guerriers, qu’il avait toujours des plumes brillantes fichées en panache dans ses cheveux crépus, et que ce fut à la suite d’une surprise nocturne et dans un combat affreux que lui, Frême, il fut saisi par l’ennemi et séparé de sa famille.
Vendu d’abord à des Portugais, il fut conduit dans un de leurs comptoirs de la côte de Mozambique, et au bout de quelques mois, revendu à des traitants étrangers, qui l’embarquèrent sur un navire avec d’autre noirs, qu’ils avaient achetés sur cette même côte. Mais la traite n’était plus protégée, encouragée par des primes gouvernementales ; et pour l’extirper au contraire, la France, d’accord avec l’Angleterre, avait des croisières dans l’Atlantique et la mer des Indes. Or, le négrier qui portait Frême fut découvert, et chassé par une corvette française, il fut bientôt pris et amené à l’île Bourbon, où il devint ainsi que sa cargaison de victimes, la propriété de l’État.
- En venant ici, frères, ma pensée disait : nous ne parlerons pas ; nous écouterons, nous suivrons les autres. À présent vous voulez entendre. Eh bien ! ma langue causera. La chose a des épines. Mais le silence de la bouche ne doit pas faire crier le cœur. (45)
On fera des lois, comme on fait ici dans l'île, pour la conservation des plantes, des poissons, des chevaux, des chiens et des oiseaux ; on n'en fera pas pour notre conservation, pour l'adoucissement de notre sort ; on n'en fera pas pour notre liberté... (73)
Courbés alors sous le même maître, tous quatre n'étaient pas seulement des égaux en misère, ils étaient aussi des amis qui maudissaient la même chaîne. (34)
Ma langue n'a pas l'instinct de mes pensées. (40)