Si tu as un coeur, cerisier sauvage de Fukakusa
cette année seulement
fleurit de la couleur de l’encre
Et l’arbre entendit sa plainte. Cette année-là, le cerisier fleurit de la couleur de l’encre et partagea la tristesse de Kamitsuke. L’arbre devint légendaire. Clair-obscur, il était passé de l’extrême pâleur à des pétales d’encre délavées. Comme le cerisier de Fukakusa, la calligraphie est l’art du contraste entre l’ombre et la lumière. L’encre est le trait de la nuit. Mais tout ici est aussi son contraire, et c’est une ombre lumineuse et profonde qui ne révèle son esprit que diluée à la plus pure des eaux.
(En 891, le régent Fujiwara no Mototsune s’éteint et Kamitsuke no Mineo compose cette élégie à la mémoire de son ami, inhumé à Fukakusa)
Les trésors du calligraphe : L’encre, p. 179
Les "kana" sont des signes qui glissent. L'idéogramme à la chinoise s'élève sur des points de force où l'encre s'incruste dans le papier. La souplesse des "kana" réside justement dnas cet éclatement des points d'assise et leur étirement en un rythme très fluide. (p104-105)
Dans l'attaque du pinceau, le style "kaishu" chinois porte encore en lui les vestiges des caractères gravés. Le pinceau y écrit comme le stylet a incisé. Il s'appuie sur les points de force qui ont hérité de toute la puissance de la gravure initiale. Elle persiste dans la trace de l'encre, et le papier qui supporte ce trait garde en spectre la profondeur de l'incision de la pierre. (p26-27)
Sa calligraphie en "kana", avec ses cimes ou ses cours ondulants, entretient et amplifie ces images [de la nature]. Elle dit la végétation des jardins entrevus sous les stores. Les signes ont la souplesse d'herbes qui plient doucement au vent. Ils ont le mouvement de l'eau douce ou bondissante, et l'assise du rocher. Le tracé fluctuant et léger prolonge une compréhension du monde. (p104)
Puis au cours des siècles, cet art, défini autour de codes rigoureux et spécifiques, élabora un espace harmonieux et serein, celui de la Voie de l'Encens: son âme est le parfum, mais ici, on ne le respire pas, car plus délicatement encore, chaque hôte est venu l'"écouter"...
Les calligraphes [japonais] ont été des poètes, et les poètes [japonais] des calligraphes. La calligraphie [japonaise] ne s'est pas restreinte aux vertus gymniques et esthétique d'un art cherchant l'harmonie des signes. Elle a cherché l'essence des mots. (p50-51)