Louise Lucas

Comme parfois dans les tribunaux, la sentence est sans appel. Je suis coupable d'entretenir cette habitude malsaine, faible de ne pas parvenir à m'en empêcher. Pire encore : à l'image de tous les condamnés, je reste prisonnière de mes propres regrets.
J'ai l'impression de me noyer dans un puit de contradictions en approchant de nouveau ma main du tableau. Parce que je m'accroche à ce stylo comme si ma vie en dépendait, alors que le simple fait de le tenir me rebute profondément. Et parce que j'aime, autant que je déteste, le sentiment d'apaisement que je ressens lorsque sa mine entre en contact avec le papier. Je trace les chiffres lentement, le deux d'abord, puis un zéro et un huit. Je ferme les yeux au moment où j'achève la boucle du dernier zéro.

Aussi vive puisse être la douleur, j'ai appris à la museler. Je l'étouffe avant qu'elle ne le fasse. Ça ne marche pourtant pas toujours. Parfois, comme tout à l'heure, elle me rattrape et se venge, me laissant plus anéantie que si je l'avais laissée immédiatement agir. La seule chose qui me console est de me dire que je suis quand même parvenue à être seule au bon moment. Le constat n'a rien de glorieux, mais ça reste moins honteux à penser.

On peut m'accuser de beaucoup de choses, mais je ne suis jamais malhonnête ! Les mecs savent à quoi s'en tenir quand ça commence à devenir plus sérieux. Grands seigneurs, tous s'imaginent que je joue les jeunes vierges effarouchées et que quelques caresses suffiront à me faire changer d'avis. Tous veulent croire qu'avec eux, ça sera différent. Qu'est-ce que j'y peux si ça abîme leur ego de se rendre compte du contraire ?

Le pire, je crois, c’est que la jalousie prend toutes les formes. Tout le monde peut envier tout le monde, peu importe à quel point vous êtes proches des gens, une sœur, un ex-copain, une amie… Elle ne s’embarrasse pas de sentiments aussi puissants que l’amour ou l’amitié, elle s’en moque puisqu’elle sait qu’elle peut tout attaquer, tout abîmer.

Comme toujours, le chagrin laisse des traces... Impossible de retourner dans la maison pour le moment, n'importe qui remarquerait à des kilomètres qu'elle vient de pleurer. Sa voix reste tremblante lorsqu'elle reprend la parole après s'être essuyée plusieurs fois les yeux.

- J'aime les paris, Alex, je les adore même ! Mais les tiens ont un petit côté suicidaire qui me dérange parfois.
- Ils n'ont rien de suicidaire, je proteste, ils comportent juste ce qu'il faut de risques. La simplicité n'a aucun intérêt dans ce genre de défis.

J'ai grandi.
Je sens encore le goût des mots sur ma langue, le poids de leur aveu caché dans chacun des battements de mon cœur. J'ai du mal à réaliser ce qui vient de se passer. Je ne parle pas de ces choses-là, jamais et avec personne.

- On a rompu. Aussi ridicule que cela puisse paraître, je tique sur la formulation de sa phrase. On ? s’il y a un verbe qui se conjugue rarement à cette personne, c’est bien le verbe « rompre ».

« Un jour, j’ai entendu dans un film qu’un bon mensonge se forge autour de deux règles d’or : ne jamais trop s’éloigner de la vérité et en dire le moins possible »

Le baiser que nous avons échangé a eu beau être bref, il a suffi à me faire perdre toute envie d'embrasser quelqu'un d'autre !