Lucian Boia

Je me permets de vous renvoyez à ma critique sur la version française Les Pièges de l'Histoire: L'élite intellectuelle roumaine (1930-1950), non sans oublier de saluer au passage le travail de la traductrice Laure Hinckel et d'inviter Les Belles Lettres (éditeur) à nous proposer de nouveaux titres au rayon Roumanie/Littérature roumaine.

Expliquons d'abord en quelques mots pourquoi nous nous trouvons sur un terrain glissant. Pendant l'entre-deux-guerres, la Roumanie était caractérisée par son instabilité politique et le fractionnement de l'opinion entre de nombreux petits partis. Elle connut alors la dictature royale, le régime légionnaire (à tendance fasciste et antisémite), puis la dictature communiste. Difficile dans ces conditions d'exprimer une position politique pertinente.

Certains membres de "l'élite intellectuelle" n'ont à ma connaissance pas ou guère pris parti (Gib I. Mihaescu, Ion Minulescu ou Anton Holban). Ce ne sont pas ceux qui intéressent Lucian Boia, mais ceux qui se sont compromis, par exemple Ion Barbu qui se déclare "antisémite" au moment de l'arrivée au pouvoir des légionnaires ou Camil Petrescu, qui traverse avec aisance les changements. La documentation réunie est importante et certains documents sont saisissants (celui sur Ion Barbu, entre autres). Quelques réserves néanmoins : je n'aime pas trop l'expression "élite intellectuelle". On voit assez bien qui sont les élites d'un pays (hommes politiques influents, personnes très riches et/ou très célèbres pour simplifier, plus quelques hauts fonctionnaires, et encore). Mais en matière intellectuelle : on n'a pas mesuré le Q.I. des personnes considérées (donnée qui n'est d'ailleurs pas toujours pertinente) et, entre deux personnages cités, comme Tudor Arghezi ou Max Blecher, il y a des différences colossales du point de vue de la reconnaissance y compris intellectuelle, de la position sociale, etc. L'élite intellectuelle est donc très difficile à définir, à supposer qu'elle existe, ce que j'aurais tendance à nier.

Ensuite, malgré les efforts pour "rééquilibrer la vision du destin de ces hommes", il y a tant d'énumérations qu'inévitablement, on aurait tendance à mettre tout le monde dans un même sac et que le ton de l'historien se rapproche rapidement de celui du procureur.

Une somme de données et un travail certain. Je partage un certain nombre des considérations de l'historien. Pour d'autres, c'est plus compliqué : les sources sont diverses et inégales, les énumérations sont longues. Cela ressemble un peu à une critique de cinéma sans le hors champ. Certains intellectuels n'apparaissent pas. Dans la littérature, par exemple, Minulescu, Mihaescu, Voiculescu... Tirer de là des généralisations me semble par moments hâtif

« Nous ne savons rien du futur : voilà ma conclusion –décevante, je l’admets. Ou bien nous « savons » tant de choses, qui sont si contradictoires, que c’est comme si nous ne savions rien. »



Voilà l’essentiel du message, et pourtant, n’en déduisez pas trop vite que ce livre ne vaut pas la peine d’être lu, car c’est précisément dans le « tant de choses » que nous « savons » de notre monde que justement il vaut le détour, en ceci qu’il présente un état des lieux de notre monde, des futurs possibles, et ouvre à la réflexion.



L’auteur commence par évoquer le comment un Occident pauvre, issu de la chute de l’Empire romain a réussi à inventer un monde nouveau et façonner une civilisation, un modèle, à diffuser science et démocratie… mais la mondialisation a fait son œuvre et l’histoire s’accélère ; où en sommes-nous aujourd’hui ? l’Occident, imité partout, banalisé, et dont la population, la part dans l’économie globale, et l’influence rétrécissent comme peau de chagrin, est-il dépassé, n’aura-t-il été qu’une parenthèse qui s’apprête à se refermer … qui raflera la mise ?



Où va le monde ? Saurons-nous le réinventer, construire de nouveaux projets pour demain ? Les scénarios sont multiples et contradictoires, incertains. Ce livre est une sorte de « l’état du monde expliqué à ma fille » sans fioritures, sans catastrophismes, sans faux espoirs, sans jugement, sans désespérance, sans partis pris, et sans idéologisme, mais lucide et grave.

L'auteur engage une réflexion de fond sur le difficile tandem entre liberté et égalité.



Avant d'évoquer et analyser la démocratie au cours des deux derniers siècles, de discuter de la notion de Gauche et de Droite et des clichés qu'elle implique, puis d'aborder la démocratie au XXIème siècle, son égalité formelle, sa liberté bien tempérée et son état de désœuvrement.



Il conclut que la démocratie est plutôt aujourd’hui dans une phase défensive, confrontée qui plus est à des forces adverses qui ont appris à s’adapter au discours démocratique. C'est pourquoi il est temps de jeter un regard plus détaché sur les possibilités et limites du projet démocratique...



Un ouvrage passionnant, une leçon d'histoire et une vraie source de réflexion