Dimanche 4 juin 2023 :
Quand les auteurs réinventent le cours de l'histoire, uchronie et dystopie
Jean-Pierre Cendron (À l'ombre de l'avenue Victor Hugo, éd. Elan Sud),
Ludovic Deblois (Inversion, Les Offray)
Animée par Denise Déjean (Elan Sud).
Changer le destin à portée de plume ? Reconstruire une société n'est pas toujours aisé.
L'antre des livres est le festival de l'édition indépendante qui réunit à Orange (84) des maisons d'édition indépendantes venues de toute la France et De Belgique accompagnées de leurs auteurs et illustrateurs.
https://www.lantredeslivres.com
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Elle a travaillé avec la distance que son professionnalisme devait à son enquête, après avoir écrit des chapitres composés d'une succession d'illustrations, de démonstrations et de pièces à conviction. Et ce soir, l'introduction se dérobe. Maintenant que le moment est venu de les porter au grand jour. Elle cherche en vain les mots pour rentrer dans le vif du sujet. Elle ne sait pas bien pourquoi. Peut-être que coucher sur le papier ces histoires tragiques les rend plus réelles que la réalité. Peut-être que l'écriture, les élèvent au rang de vérités incontestables, et que leur ressenti devient encore plus insupportable.
L'Europe, pour rester compétitive face à l'élan de la Chine, connaît des difficultés pour augmenter le temps de travail, voire pour revenir sur les acquis sociaux. Nous avons trouvé une solution : améliorer les relations au sein de la famille. [...] En moins d'un siècle, nous serons passés du mariage imposé au mariage consenti, pour aboutir finalement au mariage optimisé et heureux. Les Européens gagneront un temps fou. [...] Et si (l'algorithme de) Thot se trompe au début, le temps de se nourrir de l'expérience, il sera toujours possible ensuite d'enclencher la rupture du couple, à l'aide de nouvelles rencontres et de notifications formulées selon la personnalité de chaque cible. Tout cela avec la plus grande efficacité ! L'intelligence artificielle nous garantit le meilleur des mondes sans que l'humain ait le sentiment de perdre sa liberté. Avec un job adapté à ses aptitudes, un ou une partenaire qui lui correspond, il nage dans le bonheur !
Depuis près de quinze ans, nos administrations enseignent aux futures générations que le collectif doit prédominer sur l'individu, qu'il est fini le temps où es minorités pouvaient influencer le cours de l'Histoire. Pour ces raisons, nous avons renforcé le contrôle et la surveillance des concitoyens afin qu'ils agissent selon une feuille de route conçue par la majorité politique. Le projet de celle-ci, porté par son désir impérialiste, repose sur l'autorité de l'Etat et se justifie par les menaces terroristes, les pandémies, le réchauffement climatique et bien d'autres défis de notre siècle. [...] Néanmoins pour ceux qui les avaient élus, dont je fais partie, jamais il n'avait été question de décider à la place des individus. La reconnaissance faciale et la surveillance numérique étaient censées nous protéger et non nous domestiquer. Or le mépris des droits individuels s'est banalisé et nous en subissons à présent les conséquences.
Je sais aussi que la vie est courte, et nous nous égarons. Nous sommes pris au piège de cette société. Selon moi, s’il y a un combat, il doit prendre sa source dans l’insoumission. Vivre en adéquation avec ses valeurs quelles que soient les conditions. Ce monde néolibéral nous happe et nous détruit.
Le besoin de productivité a pris le dessus et la réflexion instantanée a gagné du terrain. À celui qui pense et agit vite, notre société reconnaît une qualité suprême pour occuper des postes à responsabilités. Peu importe que ses décisions répondent uniquement à un besoin immédiat et qu’elles se révèlent désastreuses pour le futur, l’effet instantané décroche la meilleure note. La compétition a été hissée sur un piédestal, et avec elle la vitesse qui régit notre quotidien.
Tout individu un peu aisé vivant sur ce territoire épargné possède un chalet en montagne dans lequel il se réfugie pendant la période estivale, loin des canicules délirantes. A l'inverse, à mesure que les activités ont sombré les unes après les autres, des bidonvilles ont dessiné peu à peu les contours de l'immense métropole, hébergeant une population agonisante et fragile.
L’Histoire doit nous inspirer et nous éviter de reproduire des erreurs, mais imaginer qu’il suffirait d’appliquer les méthodes d’hier pour répondre à la complexité d’aujourd’hui révèle une paresse de l’esprit ou une profonde confusion.
La diversité séduit de moins en moins dans un pays où émerge peu à peu la peur de l’autre.