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- Quel genre de problème ? Celui où le livre ne veut pas s’ouvrir ou celui où tes neurones refusent de se mettre en marche ?
Alors que mes jambes changeaient de bas en haut, mon centre de gravité fut rétabli. À ce moment précis, j’étais un humain perché sur des grandes pattes de crinos, avec des bras tout aussi musclés et longs. La seule cohérence était ma peau nue. Après une pause de deux secondes sans changement, sans craquement d’os, sans mouvement étrange de muscles ou de tendons, la mutation accélérera soudain. Le reste de mon corps se mit à changer tout en même temps. Ma tête s’allongea. Ma bouche laissa rapidement place à une gueule meurtrière, tandis que mon tronc prit des proportions adéquates. Une fois que mes muscles et organes furent réorganisés et connectés, une fourrure orange et noir apparut exactement dans le même ordre qu’avait commencé ma transformation : doigts, mains, bras, orteils, pieds, jambes, puis tout le reste d’un coup.
J’étais prêt à dire bonjour au petit comique qui avait enchanté la zone. Dommage pour lui que son piège ne se soit pas refermé sur un humain imprudent…
Cette entrevue avec Arnaud Leroy m’avait vanné. Être invité par le chef de La Meute, l’un des groupes de métamorphes les plus puissants de Paris était assez stressant. En fait, limite flippant ! J’avais hésité à refuser, mais si je pouvais éviter de me mettre à dos un aussi puissant loup-garou…
Au final, cela s’était bien passé. J’avais évité son regard et mis en stand-by sa demande de manière très polie. Au départ, j’avais imaginé que c’était pour m’inviter une nouvelle fois dans sa meute. Bien qu’il ne l’ait fait lui-même qu’une seule fois, mon ami Christophe s’y était attelé à maintes et maintes reprises. J’avais également envisagé qu’Arnaud Leroy m’interdise d’accaparer mon ami, ou au moins de mettre un terme à mon entraînement avec lui. Bon, il fallait avouer que cela faisait maintenant trois ans que Christophe m’entraînait et que le service qu’il me devait au départ était largement remboursé.
Eh bien non ! Comme quoi, se faire des films ne sert à rien.
J’arpentai une des allées ombragées du domaine de La Meute croisant trois garous de dix-huit à vingt ans. Je leur fis un petit signe de tête, évitant de les regarder dans les yeux. Ils me dépassèrent sans un mot, sans un signe.
- Il est encore là ? questionna l’un des garçons sur le ton de la discussion.
- On est vendredi, il va à son entraînement, lui répondit l’un de ses compères.
- J’aurai ma meute avant qu’il ait fini d’apprendre à se défendre…
Les deux autres pouffèrent. Un loup-garou lambda aurait au minimum grogné, voire les aurait remis à leur place. Cela faisait quoi, trois ans, que j’étais devenu métamorphe. Il allait falloir que j’adopte un peu leur façon de faire, histoire d’être un peu plus respecté. Quoique, le respect chez les garous, enfin chez nous, se gagne généralement à coups de griffes et de crocs. Donc à quoi bon ?
Alf lui sourit poliment. Jasper se tourna vers ses compagnons :
- Enfin un méta qui connaît sa pla…
Alf brisa les quatre verres de chaque côté du visage de son interlocuteur. Puis, avant que les autres n’aient eu le temps de se lever, lui fracassa la tête contre la table. La femme sortit un revolver, Alf lui saisit la main tenant l’arme et la serra jusqu’à lui briser des os. Debout, un troisième commença à faire des signes de ses mains, préparant un sort. Mon compagnon lui saisit le col et l’envoya valser contre le dernier larron.
Adrien sortit un fusil à pompe.
- Ça suffit ! tonna-t-il.
C’est vrai ça, vous n’êtes pas sortable ! Ce n’est pas sérieux… Bravo Alf ! Si tu pouvais encore lui mettre un ou deux coups...
Nous attendîmes encore plusieurs longues secondes avant que les premiers squelettes n'émergent en un flux ininterrompu. La terre oscilla imperceptiblement. Le béhémot jaillit de terre. Il s’éleva à plus de vingt mètres avant de s’écraser au niveau du cratère de l’explosion. Kéra faillit en perdre l’équilibre. Il était là devant nous : un immense ver d’os et de chitine de quatre-vingts mètres de long pour six mètres de diamètre. Il se dressa à nouveau d’un cinquième de son corps, avant de s’abattre, comme s’il voulait piétiner quelque chose.
- Je crois que la bombe l’a vraiment énervé… dis-je l’air détendu.
- Je ne me rappelais pas qu’il était aussi grand ! s’alarma Kéra.
Qu’est-ce que ?! On t’a cherché partout ! s’énerva Alf en s’approchant d’un pas vif.
L’un de mes nouveaux besoins prit soudain le dessus, impossible à enrayer. Pris d’une énorme bouffée de chaleur, mes doigts se crispèrent, mes lèvres se retroussèrent. Alf stoppa net. L’atmosphère se figea. Avant qu’il ne baisse la tête en signe de soumission, je pus voir mes propres yeux étincelants dans ses iris. Tournant la tête, je vis Maggie et Alia l’imiter.
Une pression dans mon esprit disparu. Tout venait de rentrer dans l’ordre. J’avais trouvé, non, pris ma place.