Manon Gauthier présente "Les pièces manquantes"
À travers l'eau trouble d'un étang, ce sont les vies de toute une famille qui ont vacillé, et c'est la légende d'un village qui a commencé à s'écrire.
Cette tranquillité de façade vole en éclats en 1978. Cette année-là, la menace qui planait sur le village, épée de Damoclès ondoyante, s’abat à nouveau. Autour de l’étang, l’agitation grouille, le chien va et vient, la queue agitée. On les a retrouvées. Les corps des deux petites filles sont au fond de l’eau. Elles n’ont plus de sang aux joues, qui forment maintenant deux petits monts cireux. Depuis leur disparition, il y a plusieurs jours, le village vivait en apnée. Alors qu’on les remonte, elles se tiennent encore par la main. Quand on les sort, leurs bottes de caoutchouc sont pleines d’eau. Le plastique est gorgé et boursouflé du liquide qui a étiré les peaux douces. Ces deux fillettes étaient sœurs. La première fois qu’on m’a parlé d’elles, c’est tout ce que j’en ai su.
On vit avec son deuil sans le faire,comme on vit avec ses morts sans les oublier.
Entre la commune et l’eau, la relation est contrariée. Le village se dresse en pleine Champagne crayeuse, où la molécule est tantôt providentielle, tantôt pernicieuse. Au nord, elle est invisible. Prise dans la roche, elle sommeille en sourdine et s’infiltre pour devenir glaise. Au sud, là où coule la Marne, la plus longue rivière de France, elle se montre, omniprésente et menaçante. Étymologiquement, la Marne est la matrone, la « grand-mère », puissante et capricieuse. Elle borde le village, traversé en son centre par l’un de ses affluents, la bien nommée Crue. La terre ne peut contenir toute cette eau. Il y en a trop. Aussi, des étangs, des mares, des flaques et des trous ont pris leurs aises. Et avec eux se sont développées une faune et une flore bien différentes des sols céréaliers et calcaires qui jalonnent la région. La commune est beaucoup plus étendue qu’il n’y paraît.
Quand on retrouve les petites, elles n’ont plus de sang aux joues. Autour de l’étang l’agitation grouille, les chiens, à bout, vont et viennent, la queue frétillante. Quand on les a remontées, elles se tenaient encore par la main, malgré les heures et les jours égrenés depuis leur disparition. Quand on les a sorties, leurs bottes de caoutchouc étaient pleines d’eau.
Autour de l’étang, l’agitation grouille, le chien va et vient, la queue agitée. On les a retrouvées. Les corps des deux petites filles sont au fond de l’eau.
Cette tranquillité de façade vole en éclats en 1978. Cette année-là, la menace qui planait sur le village, épée de Damoclès ondoyante, s’abat à nouveau.
Ces deux fillettes étaient sœurs. La première fois qu’on m’a parlé d’elles, c’est tout ce que j’en ai su.
Marielle et Nathalie ont été effacées de l'histoire avant même de mourir, fantômes prématurés.
Étymologiquement, la Marne est la matrone, la « grand-mère », puissante et capricieuse.