Je suis né et j'ai grandi dans un pays physiquement et moralement dévasté par la guerre civile que le général Franco avait gagnée avec l'aide directe de Mussolini et de Hitler - et la complicité lâche et aveugle de l'Angleterre et de la France. mais les guerres civiles ne se terminent jamais. une conséquence de celle-ci fut que ce pays, isolé et appauvri intellectuellement par la répression franquiste, rechercha un rayon de lumière dans la culture française et qu'il trouva le panorama désolant que je décris au dernier chapitre du libelle. J'ai vu les meilleures intelligences de ma génération abêties par la Théorie, par la déliquescence et la délinquance intellectuelles, par cet esprit auto-complaisant et stérile venu de France. Il y a trente-cinq ans, cela me parut une raison suffisante pour écrire ce pamphlet.
Dans tous les pays d'Europe, on constate que l'aversion à l'égard de la culture française est directement proportionnelle au degré d'influence que la France parvenue à y avoir. De là découlent la haine excessive mais justifiée des Allemands, l'indifférence des Anglais à toute les époques, et celle des Espagnols jusqu'au XVIIIe siècle. Pour l'Espagne, nous pouvons même valider cette vérité par des cas particuliers : le génie d'un Espagnol est d'autant plus grand qu'il sait registre à l'influence française. Et cela se vérifie depuis Juan Ruiz jusqu'à Cernuda, en passant par Cervantes et Pérez Galdos. Malheur au pays où l'esprit français devient un modèle d'élégance.
Pendant presque quatre siècles ce fut la tâche de l'Inquisition d'éradiquer en Espagne ce qu'on appela "la funeste manie de penser". Comment est-il possible que ce pays qui, en peu de temps, avait créé des personnages universels comme La Célestine, le Lazarillo, Don Juan, Don Quichotte et Sigismond, n'ait rien apporté à la littérature européenne au cours des trois siècles suivants? Cela fut précisément la tâche de l'Inquisition, : en finir avec toute pensée critique, avec toute ardeur créatrice. L'Espagne n'apporta plus rien de significatif à la culture européenne.
Tandis que les Anglais, après chaque expédition militaire sur le continent, retournaient sur leur ile avec plusieurs centaines de mots français intégrés à leur langue, il est assez étrange que les Français n'aient jamais inclus le moindre mot allemand - ou si peu - dans la leur, malgré toutes les invasions que la France a subies de la part de ces voisins si expansionnistes, depuis le temps des Goths jusqu'à une époque si récente que nous préférons par délicatesse ne pas la nommer.
Goya a fait avec la peinture ce que Beethoven fera avec la musique : ils les ont mises à la hauteur de la pensée et de la philosophie, en phase, comme cela n'avait pas été fait jusque-là, avec les tourments et les joies, les tragédies et les dessins réels des hommes.
Le grand business des généraux français, quand ils se retrouvèrent sans emploi après Waterloo, fut de s'adonner au commerce des tableaux qu'ils avaient volés. Ainsi apparurent dans ce pays les premiers marchands d'art modernes.
Le chemin de Saint-Jacques fut comme une cinquième colonne qui permit aux Français d'introduire et de vendre leur culture parmi nous.