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Citations de Marc-Antoine Pérouse de Montclos (13)


Quels sont donc ces rebelles qui sillonnent les bras du delta à bord de speedboats surpuissants, la kalachnikov fièrement dressée à l'avant? Ces pirates qui, en haute mer, partent à l'assaut des plateformes pétrolières en se réclamant du dieu de la guerre Egbesu des Ijaw? Ces saboteurs qui, à terre, font exploser les oléoducs pour voler du pétrole brut? Ces "militants" présentés tantôt comme des combattants de la liberté, tantôt comme des terroristes, des ivrognes ou de vulgaires bandits? Entre l'appât du gain et la conquête du pouvoir, que veulent-ils vraiment? Qu'est-ce que le pétrole vient faire dans cette histoire?
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Pays le plus peuplé d'Afrique, bientôt le troisième du monde d'ici 2050, le Nigeria est souvent présenté comme un géant aux pieds d'argile. Son potentiel de croissance autant que sa capacité de nuisance intriguent et effraient tout à la fois. A n'en pas douter, le Nigeria fait partie des puissances émergentes du XXI siècle. Assez logiquement, son nom apparaît donc dans l'acronyme des MINT (Mexique, Indonésie, Nigeria, Turquie), qui a succédé à celui des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). En même temps, la plus grosse économie du continent, avec un PIB supérieur à celui de l'Ukraine, détient un triste record: elle compte le plus grand nombre de personnes vivant dans l'extrême pauvreté, quelque 87 millions d'habitants, davantage qu'en Inde.
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Dans un tel contexte, on voit à quel point le défi est insurmontable pour l’armée française au Sahel. L’objectif relève tout simplement de la mission impossible. En effet, il consiste à lutter contre des groupes dits terroristes en s’appuyant sur les forces corrompues et prédatrices d’alliés locaux dont les exactions nourrissent et exacerbent les hostilités. En principe, l’armée française est intervenue au Sahel pour ramener l’ordre et sauver des vies face à « l’abomination djihadiste ». Mais en pratique, elle s’est retrouvée à former et équiper des « forces d’insécurité » qui ont grandement contribué à déstabiliser la région, trop souvent en tuant davantage de civils que les terroristes.

De fait, les États faibles de la région jouent un rôle central dans la prolongation des hostilités : soit de façon active lorsque leurs armées tuent des civils et attisent le ressentiment contre les gouvernements en place ; soit de façon passive lorsque l’absence d’État et de services publics de base ne permet pas de protéger la population et légitime l’émergence de contre-pouvoirs qui contestent l’ordre établi sur une base religieuse. Il convient certes de nuancer le tableau. Pour diverses raisons, les armées du Niger et de la Mauritanie se comportent mieux que celles des autres États membres du G5 Sahel, cela sans parler des militaires sénégalais, qui sont réputés être les plus professionnels de la région et qui, néanmoins, n’ont pas été conviés à participer aux combats contre les groupes djihadistes.

La soldatesque tchadienne, elle, constitue un cas un peu à part car le régime du président Idriss Deby, qui est arrivé au pouvoir par la force en 1990, ne s’est jamais complètement départi de son caractère guerrier. À cet égard, il est assez étonnant d’entendre le ministre Jean-Yves Le Drian la présenter régulièrement comme l’armée la plus performante du G5 Sahel. En réalité, les forces tchadiennes s’étaient littéralement écroulées en 2008 ; n’auraient été les bombardements in extremis de l’armée de l’air française à l’époque, Idriss Deby aurait été pris au piège dans son palais présidentiel, encerclé par les insurgés qui étaient arrivés jusqu’aux portes de la capitale Ndjamena. En guise d’armée, la soldatesque du régime évoque plutôt une bande de guerriers et non de militaires : des combattants valeureux, certes, mais peu disciplinés. Connus pour leurs nombreuses exactions, ils ont largement contribué à déstabiliser la Centrafrique voisine, à tel point que les Nations unies ont dû officiellement demander leur départ du pays.
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Du Mali à la Somalie, on pourrait multiplier les exemples d’abus perpétrés par les forces chargées de combattre les groupes qualifiés de terroristes. Ces « débordements » sont parfois dénoncés par les organisations de défense des droits de l’homme, ce qui leur vaut d’être de temps en temps relatés par les médias. Mais d’autres passent complètement inaperçus, sachant qu’il est toujours difficile de trouver des informations fiables dans les zones de conflits armés. Bien souvent, on ne sait tout simplement pas ce qui se passe dans les campagnes. Dans le cas des régions rurales du Macina, par exemple, les exactions commises par l’armée malienne n’ont en fait été rapportées qu’à partir du moment où les populations locales ont fui vers Bamako et ont pu témoigner de leurs tourments après avoir été prises en charge par la Croix-Rouge internationale et les agences des Nations unies.

La difficulté tient aussi à un certain parti pris. Beaucoup d’observateurs et de décideurs rechignent à évoquer les exactions des forces qui combattent « l’abomination djihadiste », incarnation contemporaine et presque parfaite du mal à l’état pur. Pour ne pas compromettre la justesse de leur cause, certains vont même jusqu’à minimiser, voire nier les tueries commises par les armées engagées dans la lutte antiterroriste. Le Mali n’est bien entendu pas seul en cause. Les autres pays de la ligne de front antiterroriste sont tout aussi concernés. En Irak, les Nations unies ont ainsi entrepris d’enquêter de façon exhaustive sur les crimes perpétrés par l’organisation État islamique. En revanche, leurs rapports sont restés « étonnamment succincts sur les violations des droits humains par les forces armées irakiennes, leurs supplétifs et leurs alliés étrangers ». À propos des frappes aériennes de la coalition antiterroriste sur la ville de Mossoul entre octobre 2016 et juillet 2017, les Nations unies avançaient par exemple un bilan de 461 morts civils, bien inférieur à celui d’une ONG britannique, Airwars, qui comptait jusqu’à 1 579 victimes.
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Aujourd’hui, le constat est à l’échec. Les mouvances djihadistes ont proliféré et étendu leur rayon d’action en dehors du Mali. De plus, les groupes signataires des accords de paix conclus à Alger en 2015 n’ont pas désarmé. Enfin, les violences intercommunautaires se sont multipliées, le banditisme de grand chemin sévit toujours et l’État malien continue d’avoir une présence très faible en dehors des grandes villes. La question maintenant est de savoir si, pour l’armée française, il vaut mieux rester en vain, sans être en mesure d’améliorer la situation, ou bien se retirer, pour se dédouaner de toute responsabilité directe dans les événements en cours, quitte à laisser le Mali prendre lui-même en charge ses défis sécuritaires, pour le meilleur comme pour le pire.

Ce livre, on le voit, se focalise donc sur l’engagement militaire de la France et de ses alliés. Il ne préjuge en rien de la poursuite d’une aide au développement accompagnée de coopérations poussées dans les domaines linguistique, éducatif, culturel et scientifique. Autre précision d’importance, la réflexion englobe les pays de la force du « G5 Sahel » que la France essaie de mettre en place pour prendre le relais de l’opération Barkhane avec les États membres du « Groupe des cinq » : le Mali, la Mauritanie, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad. Sont aussi évoquées les expériences d’autres luttes antiterroristes engagées avec le Nigeria contre Boko Haram autour du lac Tchad ou avec le Kenya contre les Chebab de Somalie dans la Corne de l’Afrique.

À sa manière, le cas malien illustre en effet des problématiques beaucoup plus générales sur l’ensemble de la zone. Réciproquement, les modalités de la réponse d’autres pays africains au défi djihadiste nous aident à mieux comprendre les difficultés de l’armée française dans la région aujourd’hui. Les problématiques se recoupent souvent. Deux des quatre pays membres de la coalition qui lutte contre Boko Haram, le Niger et le Tchad, combattent ainsi aux côtés de l’armée nigériane tout en faisant partie de la force dite du « G5 Sahel » qui est censée prendre le relais de la France au Mali.
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Dans des tribunes publiées début 2013 dans Libération et Le Figaro, afin de couvrir un large spectre politique, je prédis l’ensablement d’une intervention militaire qui consiste « à se substituer à un État et une armée défaillants ». À sa manière, la poussée djihadiste dans le nord du Mali ne constitue jamais qu’un des symptômes les plus visibles de la crise structurelle de l’État dans la région. C’est aussi le constat auquel arrivent les spécialistes et collègues qui ont participé à un livre collectif écrit dans l’urgence. Avec un appel à contributions lancé peu après le début de l’opération Serval, en janvier 2013, et des manuscrits reçus trois mois plus tard, notre ouvrage sort en librairie le jour de l’élection du président Ibrahim Boubacar Keita à Bamako en juillet suivant : un temps record pour les standards habituels du monde académique, mais nos analyses ne sont guère entendues des politiques.
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Janvier 2013 : l’armée française intervient au Mali. C’est officiellement sa plus grosse opération militaire à l’étranger depuis la guerre d’Algérie. Je ne suis pas le seul à être surpris. Un mois auparavant, le président François Hollande avait annoncé que la France n’enverrait pas de soldats au Mali. À l’époque, l’objectif était seulement d’appuyer une éventuelle opération de paix des Nations unies pour rétablir l’ordre à Bamako, où des mutins avaient pris le pouvoir, avant d’essayer de repartir à la conquête des territoires du Nord tombés dans l’escarcelle de groupes djihadistes.

À peine sortie de l’opération Licorne en Côte d’Ivoire, l’armée française allait faire exactement l’inverse. Elle partit d’abord à l’assaut des djihadistes avant d’accompagner le retour à un ordre constitutionnel à Bamako. Le ton martial de l’Élysée était d’autant plus étonnant que le président n’avait pas la réputation d’être un foudre de guerre. Comme son prédécesseur Nicolas Sarkozy, François Hollande avait officiellement proclamé la fin de la « FrançAfrique » et adopté les mots d’ordre de la communauté internationale en vue de promouvoir « des solutions africaines aux problèmes africains ». Dans un tel contexte, l’idée n’était sûrement pas de voir l’ancienne puissance coloniale débarquer des milliers de soldats pour suppléer aux défaillances de l’État malien.
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Les dissensions au sein de la « galaxie djihadiste » portent également sur le traitement des « mauvais croyants ». De pair avec le sectarisme et l’intransigeance des combattants les plus extrémistes, la tendance dite du « takfirisme », qui consiste à excommunier de simples pécheurs, ne fait pas l’unanimité et elle est condamnée par des idéologues al-qaïdistes comme Abou Moussab al-Souri car elle divise la communauté des musulmans et sert les intérêts des « infidèles ».

La question n’est pas nouvelle. Au XIXe siècle déjà, les théologiens du djihad de Sokoto, dans le nord-ouest de l’actuel Nigeria, avaient longuement débattu de la possibilité d’excommunier et réduire à l’état de serfs les musulmans dont les pratiques religieuses étaient jugées impures, syncrétiques et déviantes. Ils avaient finalement justifié le pillage et l’asservissement de leurs coreligionnaires en prétextant qu’il s’agissait d’hérétiques ou de renégats. Une telle posture avait aussi des soubassements très pragmatiques pour affirmer leur domination et financer une armée permanente à partir des revenus tirés d’une économie de plantation fondée sur l’esclavage. Dans le nord-est du Nigeria, près du lac Tchad, elle leur a par exemple permis de récuser les sultans du Borno qui, islamisés bien avant eux, avaient refusé de se soumettre en préférant s’allier à des infidèles. Le débat opposa notamment les djihadistes du califat de Sokoto à un théologien, Muhammad al-Kanemi, qui défendait l’ordre établi mais qui profita des troubles pour s’emparer du pouvoir et renverser la dynastie finissante des rois du Borno. « Chaque pays, écrivait Muhammad al-Kanemi, a ses mécréants, ses apostats et ses pécheurs. Tenter de les exterminer de façon indiscriminée est dangereux car il vaut mieux laisser de côté l’infidèle que de prendre le risque de tuer un musulman. »

Aujourd’hui encore, le sort des apostats joue un rôle essentiel dans le cadre de djihads qui visent d’abord à reconvertir les « mauvais croyants ». L’intransigeance des groupes les plus sectaires est source de divisons au sein même des partisans de la lutte armée. Pendant la guerre civile qui a ensanglanté l’Algérie après l’annulation de la victoire électorale du Front islamique du salut en décembre 1991, des combattants se sont ainsi séparés du Groupe islamique armé (GIA) en septembre 1998 parce que celui-ci tuait surtout des musulmans qu’il excommuniait à tour de bas. Les manœuvres de division des services de sécurité algériens n’y ont sans doute pas été pour rien non plus. (pp. 49-50)
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Pour les dirigeants africains, il [le grand récit de la menace terroriste] permet de justifier la répression de leurs opposants, de réclamer une aide militaire, de s'avancer sur la scène diplomatique et de se défausser de leurs responsabilités face à des problèmes prétendument "importés" de l'étranger. Pour les djihadistes, il permet d'affirmer leur omniprésence, de surestimer leur capacité de nuisance et de valoriser leur pouvoir médiatique. Pour les gouvernements occidentaux, enfin, il permet de légitimer et légaliser la militarisation de leur réponse au terrorisme et de leurs interventions à l'étranger en se référant au chapitre VII de la Charte des Nations unies à propos d'une menace contre la "paix mondiale". Pour les services de sécurité publics et privés, le mythe d'un djihad planétaire constitue même une véritable aubaine car il leur permet de marquer leur pouvoir et de demander des budgets plus conséquents.
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En général, les défaillances des États africains, leur mode de gouvernement autoritaire et la corruption de leur classe dirigeante constituent des explications peu prisées pour comprendre le terrorisme de type djihadiste. En effet, les analyses politiques qui insistent sur la responsabilité des gouvernements locaux dérangent beaucoup de monde car elles mettent en évidence la complicité des pays occidentaux avec des régimes kleptocrates et soulignent les limites de leur coopération militaire avec des armées qui sont souvent responsables d'atrocités. De plus, les racines africaines des conflits sahéliens et djihadistes d'aujourd'hui démontrent à leur manière les ratés de modèles coloniaux dont les projets étatiques n'ont pas satisfait les demandes de justice sociale, laissant un vide que les promoteurs d'une application stricte de la charia se sont empressés de combler.
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L'islamisme guerrier a donc prospéré sur les décombres d'États faibles dont il a mis en évidence la fragilité tout en se révélant incapable de proposer un projet de société viable sur la base de la charia.
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Ces violences avaient cependant un "mérite" : elle ne semblaient pas se développer au nom de l'islam. Leur inscription dans les paradigmes d'analyse de la guerre froide et des oppositions Est-Ouest les rendait visiblement plus acceptables ou, du moins, "compréhensibles" aux yeux des Occidentaux. La peur que suscitent à présent les djihadistes se nourrit certainement de l'incompréhension que l'on a de leurs motivations.
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La menace est bien réelle. Mais sa puissance dévastatrice est grossie par les effets de loupe médiatiques. Il importe à cet égard de souligner que le nombre de conflits létaux recensés en Afrique a diminué depuis la fin de la guerre froide en 1991 et le génocide des Tutsi du Rwanda en 1994.
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