Au cours du voyage que je fis en juin et juillet derniers en U.R.S.S. avec un petit groupe de touristes, de journalistes, d'hommes d'affaires et de politique, l'organisateur et chef de troupe avait coutume de dire au récalcitrant qu'il croyait voir en moi:
- En face des Soviets il faut être "pour" ou "contre". L'on ne peut pas, l'on a pas le droit d'être neutre.
Or, je songeais à me réserver ce droit sacré de neutralité qui, pour moi, signifiait liberté d'esprit et de jugement, que pour me défendre, justement, de cette intolérance. Au départ j'ignorais l'U.R.S.S. de U jusqu'à S ou à peu près. J'étais parti pour m'instruire, non pour fortifier une opinion.
En trente-neuf secondes, montre en main, nous voici au soixante-cinquième étage de Radio-City. Là on change d'ascenseur comme on changerait de train pour filer - toujours plus haut - vers le toit-observatoire.
Et là le choc !
Plus encore que le vent glacé dont la rafale semble incliner comme un arbre l'échafaudage de ciment et d'acier, la vue qui s'offre étourdit, coupe le souffle.
Nulle part la planète n'a jeté vers le ciel semblable défi ou pareil appel. Aucune ville humaine n'a hissé plus haut ses termitières...
En aucun lieu terrestre le génie de l'espèce n'a mis plus d'ordre en son chaos.
Page 20
Les figures qui se penchaient sur elle, figures rougeaudes de paysans, visages pincés de parents de province, étaient figées, les unes dans une torpeur stupide, les autres dans ce recul attéré que l'on voit aux personnages de la fresque d'Orcagna dans le Campo- Santo de Pise, ces cavaliers qui se butent à une charogne humaine au croisement de leur chemin.
C'est à cette fresque que je songeais en présence de ce gisant qui était mon oncle et de ses contemplateurs"