La rencontre, puis la fusion de l'humain et de la machine ont commencé à mettre en évidence la contradiction entre deux logiques. Au nom de l'éthique, on interdit qu'un individu soit propriétaire des constituants biologiques de son propre corps. Au nom de la logique économique, on permet par contre à des entreprises d'être propriétaires et de faire commerce de structures, matérielles ou logicielles, qui deviennent bien constitutives de notre intégrité corporelle. QU'en sera-t-il du statut d'un coeur artificiel de type CARMAT ? [...] Là où les grands médias et même les politiques s'effraient des propositions transhumanistes, ils n'ont pas assez de mots pour dire leur enthousiasme devant les prouesses de CARMAT (alors qu'ils se taisent à la suite de leurs échecs). La promesse de rétablir preque totalement la santé d'une personne qui jusque là était vouée à une mort certaine balaie toutes les craintes de dérives, alors que celles-ci sont bien réelles.
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Les technoprogressistes exigeront la liberté d'accès à tout élément, matériel ou logiciel, incorporé ou nécessaire au bon fonctionnement du corps humain; la liberté de transformation à titre personnel pour tout ce qui ne peut pas nuire à autrui; une limitation sévère de la validité des brevets dans ce domaine; une prise en compte de l'appréciation subjective de la personne dans la définition de son identité corporelle.
Au volant d'une voiture, nous freinons, nous accélérons et le véhicule devient une extension de notre corps. Cette évolution, que nous pouvons appeler anthropotechnie, se poursuit aujourd'hui avec l'intégration d'éléments techniques à l'intérieur de notre corps, tels que les implants cochléaires. Sur le long terme, c'est une évolution anthropotechnique qui affecte toute l'espèce, non seulement dans sa culture, mais dans sa biologie même.
La longévité est un gage de prudence. Les sociétés composées d'individus plus âgés tendent à être plus vigilantes quant à la sécurité de leurs développements technologiques. Lorsqu'ils savent qu'ils vont vivre plus longtemps en bonne santé, les citoyens ont moins d'attitudes impulsives, car ils ont plus à perdre. De manière globale, là où la vie est plus longue, voire sans limite de durée, elle est plus précieuses. Comme nous avons de plus en plus de temps pour nous attacher les uns aux autres, les sociétés deviennent davantage stables et solidaires. la violence, le meurtre, mais aussi les imprudences et les fragilités qui peuvent tuer y sont moins acceptés. De plus, dans le cadre d'une vie beaucoup plus longue, les difficultés de demain et d'après demain sont traitées par ceux qui sont encore vivants aujourd'hui. Le proverbe "après moi le déluge" qui nous influence parfois n'est plus applicable. Nous ne pouvons plus nous "débarrasser" des difficultés d'aujourd'hui aux dépens des générations à venir. Nous sommes tous à la fois bénéficiaires et responsables du futur.
Les espoirs transhumanistes d'allongement radical de la durée de vie en bonne santé, voire en pleine jeunesse, ne font donc en rien disparaître la peur de la mort. Il n'est, par ailleurs, pas certain que cette peur soit amoindrie par le fait de compter sur une durée de vie bien plus longue. Au contraire, l'idée de pouvoir vivre bien plus longtemps peut rendre la vie plus précieuse et l'idée de la mort bien plus insupportable encore. A la limite, on pourrait se demander si ne surgirait pas progressivement un problème de dynamisme dans des sociétés où les individus finiraient par être tétanisés par la crainte de mettre en danger leur précieuse vie. Néanmoins, il peut aussi être imaginé qu'un certain équilibre serait susceptible de se mettre en place. En effet, cette crainte pourrait être contrebalancée par le gain de dynamisme social lié au sentiment que l'on a très peu de risques de mourir parce que la médecine peut nous sauver de presque tout.
S'il est une pratique dans laquelle la tendance à notre évolution transhumaniste est déjà particulièrement sensible, c'est bien celle du sport. (...) L'utilisation de techniques dans le but d'améliorer une performance sportive est aussi ancienne que le sport lui-même. (...) d'un point de vue purement hygiénique, tant que nos corps sont composés d'une part biologique (ce qui pourrait rester très majoritairement le cas pendant encore longtemps), l'attention à cette composante et son entretien par une pratique qui la dynamise est une bonne chose pour toute personne qui espère une durée de vie en bonne santé la plus longue possible. L'utilisation de substances (vitamines, compléments alimentaires, etc.) ou de techniques (implants, greffes, prothèses, etc.) aidant efficacement à se rapprocher de cet objectif relève du choix de chacun.
Un jour, la majorité des citoyens pourrait estimer que l'adaptation doit devenir obligatoire dans certaines conditions, tout comme sont obligatoires aujourd'hui l'apprentissage de l'écriture, le port de la ceinture de sécurité, l'utilisation dans les lieux publiques de prothèses à caractère thermique et esthétique appelées vêtements. Nous estimons cependant éthique et souhaitable de garder des éléments de diversité pour ceux qui le souhaitent, même s'ils ne sont qu'un tout petit nombre, tant que cela n'implique pas de restriction à la liberté des autres. Cette diversité doit se combiner avec le principe d'égalité en dignité et en droit de tous les êtres dotés de conscience supérieure. En d'autres termes, ceux qui choisissent de ne pas s'augmenter ne peuvent en aucune manière être discriminés du fait de leur choix.
En matière de précaution, les technoprogressistes encourageront à adopter au plus vite des mesures qui visent à empêcher que les idées de l'obsolescence programmée soient appliquées dans le domaine de la cyborgisation. Il ne faut pas attendre que se soit développé un marché sauvage des prothèses et des implants pour le réguler a posteriori, mais poser de hauts garde-fous en amont. Par ailleurs, les fabricants de ces secteurs devront maintenir une garantie à vie sur le fonctionnement de leurs produits.
Dans des sociétés humaines où les degrés de souffrance et de fragilité de tout ordre auraient été encore amoindris - car nous avons déjà considérablement amoindri notre exposition à la souffrance et aux faiblesses - les différences entre les mieux et les moins bien lotis ne disparaitraient pas et continueraient à susciter ces sentiments et ces comportements dont les transhumanistes technoprogressistes s'accordent à dire qu'ils sont essentiels à l'humain: la sociabilité, l'empathie, la solidarité.
les promesses d'une évolution transhumaniste ne sont pas synonymes de honte du corps, mais au contraire de jouissance hédoniste de toutes les possibilités qui seront offertes; l'espoir placé dans la possibilité d'une durée de vie en bonne santé considérablement augmentée est tout l'inverse d'une "fatigue d'être soi"; il montre une confiance, un enthousiasme pour l'avenir et un appétit insatiable pour toutes les richesses d'une expérience biologique.
Dans une société régulée, mais orientée vers la créativité intellectuelle, artistique, scientifique, la liberté de modifier son propre génome ou de choisir en partie celui de ses enfants pourrait être une source de diversification, donc d'enrichissement de l'expérience humaine et de renforcement des capacités de notre genre à perdurer. C'est évidemment ce que propose le technoprogressisme.