Marc Semenoff

Tolstoï et Gandhi parlaient la même langue du coeur et de l'esprit. Une même parenté spirituelle unit les âmes russe et hindoue. Pourtant, que de distinctions ! Le destin russe, ni européen, ni asiatique est eurasien. Dans l'évolution de la Moscovie, les voies indiennes et occidentales se mélangent. De là sont venues des crises terribles, toujours suivies de retour à la spiritualité : spiritualité mythologique dans les républiques russes d'avant le moyen-âge ; spiritualité moscovite médiévale. La spiritualité slavo-russe se manifeste durant tout le XIX° siècle. Avec le régime lénino-marxiste qui la gouverne actuellement, ce n'est point la première fois qu'elle subit une éclipse apparente.

... Et Tolstoï entre en rapports directs, par lettres, avec des Japonais, des Chinois, des Hindous, des Brahmanes et des Mahométans, des révolutionnaires et des théoriciens de la non-violence. Mais une affinité spéciale le rapproche de l'Inde, ancienne et contemporaine.
Tolstoï s'efforce de rappeler à tous ces Orientaux les richesses que renferme leur sagesse antique ; il les avertit du danger que représente l'Occident et leur indique ce qu'il peuvent trouver à la lumière du christianisme non enténébré par ses fidèles qui se sont vendus aux autorités de l'État.

L'enseignement du Christ détruit l'État. Les hommes le comprirent dès la naissance du christianisme. C'est pourquoi le Christ fut crucifié.
... à notre époque, tout homme sincère ne peut voir qu'évidente incompatibilité du vrai christianisme - école de l'humilité, du pardon des offenses, d'amour - avec l'État, son orgueil, ses violences, ses peines capitales, ses guerres. Et non seulement la véritable croyance chrétienne exclut toute possibilité de reconnaître l'État, mais elle en démolit les fondements.

... Une source ne peut demander le chemin qu'elle doit suivre pour arroser - en haut - l'herbe et les feuilles des arbres, - en bas - les racines des plantes et des arbres. De même un homme instruit de la doctrine de la vérité ne demande pas quelle doit être la première de ses actions : enseigner les hommes, les protéger contre l'ennemi, les distraire en leur donnant les agréments de la vie ou bien secourir ceux qui périssent d'indigence?...

Le sens de la vie, pour Tolstoï, est dans l'enseignement du Christ. Mais, creusant davantage les données de cet enseignement, il éprouve le besoin d'un examen plus large, plus approfondi des sources de la sagesse universelle. Et, seule, l'étude des religions de l'Orient, lui semble-t-il, lui permettra de cheminer vers ce but. Elles représentent pour lui, en effet, une source de forces nouvelles pour l'amélioration de la vie humaine.