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Citation de ChouettedeMinerve


Résistance n’est pas terrorisme

Pourtant, Nelson Mandela n’a jamais été l’un de mes obligés. Je l’affirme, même si l’ANC, l’African National Congress, après avoir utilisé un arsenal non violent – grèves de grande ampleur, blocage des services publics, des usines, des entreprises et des commerces –, avait créé une branche armée vouée à la destruction de diverses infrastructures. Avec son sens inné de la stratégie et du sacrifice, Mandela aurait cependant été un représentant admirable de ma grandeur. Et puis, avoir comme disciple un prix Nobel de la paix de son envergure aurait été valorisant, d’autant qu’Alfred Nobel a inventé la dynamite, ce dont je lui suis infiniment reconnaissant.
De tout temps des régimes, même démocratiques, ont cherché à me galvauder sans vergogne en qualifiant de terroristes leurs opposants. Et
avec une grande satisfaction ce constat me permet d’affirmer que ceux qui refusent de m’utiliser seront, s’ils sont un tant soit peu efficaces pour
renverser le régime en place, traités comme ceux qui m’utilisent.
Un exemple récent m’est donné par le cinéaste Oleh Sentsov, arrêté en 2014 par le FSB russe, condamné à vingt ans de réclusion pour terrorisme et incarcéré dans une prison sibérienne. Son principal tort aura été de ne pas digérer l’annexion de la Crimée par la Russie, ce qui peut se comprendre pour un Ukrainien né en Crimée. Mais voilà que le régime poutinien voudrait de force en faire l’un de mes obligés. Je ne peux tout de même pas accueillir n’importe qui, à moins d’abolir la frontière déjà fort mince entre la résistance et votre serviteur.
Au cours de l’histoire, la confusion, savamment orchestrée par presque tous les régimes politiques, à un moment ou à un autre, a eu des conséquences regrettables. D’authentiques résistants ont été traités comme des terroristes, à l’instar des résistants français pendant la Seconde Guerre mondiale, alors que des terroristes, après avoir été considérés comme tels, sont devenus des résistants ou même des libérateurs aux yeux du plus grand nombre.
Menahem Begin, par exemple, m’a utilisé contre les Anglais pour amener à la création d’Israël, ce qui démontre, s’il en était besoin, que des gens respectables font aussi appel à mes services. Je ne suis donc pas si infréquentable. Chef de l’Irgoun, il participa notamment à l’organisation, le 22 juillet 1946, de l’attentat contre l’hôtel King David à Jérusalem qui fit 92 morts et une cinquantaine de blessés, même si ce score très honorable ne fut pas du seul fait de l’Irgoun qui avait prévenu en vain les autorités britanniques de l’éminence de l’explosion afin que l’immeuble soit évacué.
Il recevra néanmoins, lui aussi, le prix Nobel de la paix, en 1978, après les accords de Camp David, à l’instar du président égyptien Anouar el Sadate, assassiné pour cela en 1981, comme tout bon pacifiste.
Menahem Begin justifia ses actions passées en définissant le terrorisme comme une forme de guerre d’autant plus acceptable qu’elle fait moins de victimes que la guerre conventionnelle. Il avait parfaitement raison. Je suis un exercice mesuré de la violence politique, alors que les guerres n’ont presque pas de limites. Je suis même, très souvent, moins violent que les guérillas. Outre que Menahem Begin a démontré mon efficacité, je dois reconnaître que son discours de réhabilitation m’a particulièrement touché. Il m’a rappelé, toutes proportions gardées, celui de Tamerlan qui massacra la moitié de la population d’Ispahan en 1387 parce qu’elle avait refusé de se rendre et fit des pyramides avec les têtes de ses victimes. Il expliquait que ce massacre, en servant d’exemples aux populations des futures villes assiégées, éviterait d’autres massacres. De fait, il suffisait de se rendre sans combattre pour être épargné, ce que certains firent et d’autres pas. Tamerlan, en somme, tuait pour sauver des vies. Cette argutie n’a pas été seulement utilisée par mes obligés. Elle le fut dans le cadre de guerres traditionnelles. Le président des États-Unis d’Amérique justifia l’utilisation de bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki en soutenant qu’elles avaient permis de mettre fin à la Seconde Guerre mondiale et donc de sauver de nombreuses vies. L’idée que l’on puisse prétendre tuer 250 000 personnes pour en sauver un nombre indéterminé – mais soi-disant supérieur – m’apparaît être une hypocrisie de plus de mes détracteurs destinés à moraliser leurs actions meurtrières. Tamerlan, tout au moins, ne cherchait pas à se justifier. Il énonçait une stratégie dont il démontrait l’efficacité.

Mes obligés, même occasionnels, contrairement à mes détracteurs, ont souvent le mérite de l’honnêteté intellectuelle.

Préambule, p26 à 29 de l'édition du Livre de poche.
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