Cependant, si les conditions matérielles de la vie humaine ont été changées; si l'accumulation des capitaux et l'accroissement de la force productive du labeur humain ont accru graduellement l'aisance générale et donné aux travailleurs une indépendance relative et des droits qu'ils ne possédaient pas autrefois et qui tendent à s'accroître chaque jour, pour le bonheur de la race humaine ; ces progrès, il ne faut pas cesser de le rappeler, ne sont dus ni aux études littéraires, ni aux discussions scolastiques, religieuses, ou philosophiques. Non ! ils sont attribuables essentiellement au développement de la science et à celui de la richesse générale, créée par ces découvertes. Vérité aperçue surtout depuis le XVIIIe siècle, qui a proclamé l'avènement prochain du règne de la science et de la raison : elle éclate aujourd'hui de toutes parts, depuis la transformation rapide de la civilisation qui s'est accomplie de notre temps et qui se poursuit sous nos yeux.
L'étude de ces sciences équivoques, intermédiaires entre la connaissance positive des choses et leur interprétation mystique, offre une grande importance pour le philosophe. Elle intéresse également les savants désireux de comprendre l'origine et la filiation des idées et des mots qu’ils manient continuellement.
Jadis on était jeune à vingt-cinq ans et homme mûr à trente-cinq. Aujourd'hui, on est réputé jeune à cinquante ans et même au delà. Mais ce changement dans les mots ne rend pas aux hommes l'énergie et l'esprit d'invention éteints par le progrès de l'âge.
Les sciences sociales, d'un effort parallèle, appuyées elles aussi sur une connaissance de plus en plus profonde des lois qui président à la marche des sociétés humaines, s'efforcent d'assurer à chaque citoyen une justice égale pour tous ; c'est-à-dire les conditions les plus favorables au développement de ses facultés et à la réalisation de son bonheur et de celui de sa famille.
Voilà ce que nous entendons par le règne de la Science et de la Raison.
Les questions et les méthodes générales de synthèse ont été réunies par lui pour la première fois en 1860 dans un corps de doctrines.
L'importance de ces doctrines, controversée au début, par les uns comme chimériques, par les autres comme n'ajoutant rien d'essentiel à nos connaissances, a grandi rapidement : elles prennent chaque jour un nouveau développement et elles donnent lieu aux découvertes scientifiques et industrielles les plus brillantes.
Ce sont elles qui font évanouir l'obscurité, si vite oubliée des chimistes d'aujourd'hui, qui avait régné jusqu'à la génération présente sur les conceptions et les expositions générales de la chimie organique.
Ce sont des vertus merveilleuses, que l'on trouve proclamées à toutes les époques pour les médicaments à la mode. Il y a là une tendance naturelle à l'esprit humain : dès qu'une chose, ou une idée, dans un ordre quelconque, arrive à la prééminence, on l'étend à tout, on la croit propre à toutes les destinations : la vue de l'objet, ou la conception de l'idée obsède certains esprits, et remplit en quelque sorte leur horizon.
La vie d'un savant d'aujourd'hui est multiple, et son activité s'exerce dans des directions fort diverses : ce n'est pas qu'il y soit poussé par un vain désir d'agitation ou de popularité; peut-être aimerait-il mieux rester enfermé dans son laboratoire et consacrer tout son temps à ses études favorites. Mais il ne lui est pas permis de s'y confiner, sans qu'il s'ingère pourtant en rien de sa propre initiative. On vient l'y chercher et ses services sont demandés, souvent même sollicités d'une manière impérative et au nom de l'intérêt public dans les ordres les plus différents : applications spéciales à l'industrie ou à la défense nationale, enseignement public, enfin politique générale. Solon disait déjà que nul citoyen ne doit se désintéresser et rester neutre dans les affaires de la cité. Aujourd'hui, ce devoir est plus imposé que jamais; car chaque Français, comme chaque Athénien, concourt à la défense militaire aussi bien qu'à la direction politique de la République.
Cependant je veux essayer de donner une idée des travaux de l'Académie, afin de faire comprendre comment elle exerce son influence collective sur le développement des sciences et comment son immobilité même, au milieu des sociétés humaines incessamment renouvelées, a fini par restreindre son rôle et menace, si elle n'y prend garde, à passer un jour à l'état de ces mécanismes vieillis, que l'on conserve plutôt comme de vénérables monuments du passé que comme des machines agissantes et efficaces.
LE JOUR DES MORTS
D'après le mythe antique, la mort et l'amour sont frères : l'un donne la vie, l'autre l'enlève. C'est que la mort est la fin nécessaire de tout acte et de toute forme de l'Être. Sans la mort, conséquence fatale de la vie, le monde serait insensible, immobile, et, par rapport à notre conception des choses, anéanti.
Pensée, publiée dans le Journal, 2 novembre 1895.
Le problème des origines des religions est, en effet, capital dans l'histoire de l'humanité. Mais pour bien comprendre quelles relations il présente avec le développement de la Science et de la Morale, il faut remonter aux plus vieilles traditions de nos races; car les religions modernes sont des formations secondaires. Les religions les plus anciennes reposaient sur une certaine intuition des puissances naturelles qui nous environnent et réagissent sans cesse sur notre destinée : puissances impitoyables, indifférentes au bien et au mal, et que les populations primitives s'efforçaient de se concilier par les prières et les sacrifices. Une perception confuse du pouvoir scientifique que l'homme devait acquérir un jour sur la
nature, avait fait naître cette opinion d'autrefois qu'il était possible de conjurer et de dominer les dieux par la seule force de la méditation et des formules magiques, réputées si puissantes en Égypte, dans l'Inde, à Babylone.