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Citation de HundredDreams


L'Aveugle avançait, enfoncé jusqu'à la ceinture dans l'herbe rêche. Ses chaussures faisaient un bruit de ventouse ; quelque part en chemin, elles avaient dû prendre l'eau. Sa peau collait au plastique humide de ses semelles, et il se demanda s'il ne valait pas mieux continuer pieds nus. Mais il se ravisa. L'herbe était coupante, pleine d'épines et peuplée d'ignobles limaces qui se fixaient entre les orteils pour s'y installer en bavant. Ces bêtes répugnantes évoluaient entre des sortes de pelotes de cheveux emmêlés et quelque chose qui ressemblait à de la ouate humide. Toute cette faune et cette flore rampaient entre les feuilles de datura, s'enivraient de leur odeur, les mangeaient, naissaient et mouraient, avant de se métamorphoser en boue. Et tout ça, à bien y penser, c'était la végétation et rien de plus.
L'Aveugle ôta délicatement la coquille d'un escargot perché sur une haute tige qui lui avait fouetté la main. Les escargots se collaient à l'extrémité des brins de graminées et s'entrechoquaient comme des noix creuses. Il la glissa dans sa poche, sachant pourtant que celle-ci serait vide quand il rentrerait, comme à chaque fois. Pourtant, comme à chaque fois, il ne pouvait s'empêcher d'essayer de ramener quelque chose.
Il releva la tête et la lune éclaira son visage d'une lueur blafarde. La Forêt n'était pas loin. L'Aveugle accéléra, même s'il savait pertinemment qu'il valait mieux ne pas se presser : la Forêt n'aimait pas les impatients, et elle pouvait très bien reculer. Plus d'une fois, il lui était arrivé de la chercher sans la trouver, de la sentir toute proche sans pouvoir y pénétrer. La Forêt était capricieuse, craintive ; elle était aussi capable d'étirer et de multiplier les chemins qui menaient jusqu'à elle. On pouvait la rejoindre à travers le marais, ou par le champ de datura. Un jour, il l'avait retrouvée à partir d'un terrain vague dont le sol était jonché d'ordures, recouvert de montagnes de pneus, de monceaux de fer et de vaisselle brisée. La terre disparaissait sous les mégots et les tessons de bouteille – un objet en fer lui avait d'ailleurs entaillé la paume et ce jour-là, il avait aussi perdu son bracelet fétiche. C'était la Forêt qui, cette fois-ci, l'avait attrapé. Ses branches, telles des pattes velues, l'avaient agrippé pour l'attirer vers ses profondeurs, dans le fourré étouffant de ses entrailles humides.
La Forêt était magnifique. Mystérieuse et hirsute, elle abritait de profondes tanières et leurs étranges habitants, elle ignorait le soleil et était imperméable au vent. On y trouvait des cynocéphales et des oiseaux siffleurs, de gigantesques champignons aux chapeaux noirs et des fleurs vampires. Quelque part – où exactement, l'Aveugle était incapable de s'en souvenir avec précision – il y avait un lac. Une rivière s'y jetait, peut-être même plusieurs. L'un des multiples sentiers qui conduisaient à la Forêt démarrait dans le couloir, depuis les portes des chambres derrière lesquelles on soupirait, on ronflait et chuchotait, là où le parquet abîmé gémissait, là où les rats irrités d'être ainsi dérangés s'enfuyaient à vos pieds en couinant.
À présent, l'Aveugle était prêt à y entrer.
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